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Billet de blog 2 juin 2025

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Printemps des comédiens : d’un couple l’autre

« Décrochez-moi-ça » interpellent Elsa et Laurent de la compagnie Bêtes de foire, « Monde nouveau » ruminent Nathalie et Olivier au Théâtre des Treize vents. Au Printemps des comédiens, il arrivent que des spectacles se regardent en chiens de faïence sans le savoir

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Illustration 1
Scène de "Décrochez-moi-ça" © Esther Marlot

C’est l’histoire d’un couple, Laurent Cabrol et Elsa de Witte. Il est circassien. Il a fait son apprentissage entre autres chez Annie Fratellini, on le trouve aux balbutiements du Cirque Trottola, il est également passé par le cirque Romanès et c’est au Théâtre du Rugissant qu’il rencontre Elsa. Elle, costumière et comédienne vient du théâtre de rue.  Ensemble ils font des enfants et entre deux lardons, créent leur premier spectacle en 2013, Bêtes de foire, petit théâtre de gestes. Ils y trouvent le nom de leur compagnie et y façonnent leur art fondé sur un corps à corps avec des objets, des matériaux, des parures, le tout venant.

Depuis, d‘autres les ont rejoint, côté coulisse, technique, régie et musique ( Simon Rosant, Bastien Pelenc et Thomas Barrière ) et c’est tout ce monde que l’on retrouve aujourd’hui sous leur petit chapiteau planté dans la pinède du Domaine d’O à Montpellier, faisant salle comble chaque soir au Printemps des comédiens.

En scène, c’est le colosse Laurent et la presque frêle Elsa qui nous cueillent de plaisir dans un duo d’ accumulations de vestes. Pour être sûr de ne pas prendre une, ils en entassent des tas sur leur dos, tout en enfilant les manches et refont opération en sens inverse. Un jeu. Source d’un plaisir immédiat.Un comique d’accumulation en quelque sorte dans lequel le couple est passé maître au fil des spectacles et dont ils nous offrent mainte variations, Tati aurait adoré leur obstination. En préambule, Laurent nous avait déjà ébahi par un ballet de chapeaux et casquettes.

Le chapiteau est à taille humaine la piste aussi, tout est à vue, on entend autant les godillots glisser que l’on voit la sueur perler au front des deux loustics engoncés dans une théorie de manteaux.

Décrochez-moi-ça est le beau titre du spectacle. L’étymologie nous apprend que l’expression désignait naguère un soulier ou un chapeau d’occasion avant que l’expression ne désigne une friperie. Rien de neuf, en effet, sauf leur constante inventivité. Elsa et Laurent donnent aussi à cette expression un autre sens sans doute très ancien, celui de crochets auxquels accrocher des chapeaux ou des manteaux. De fait, il y a tout une série de chapeaux qui, un à un, sont lancés et s’accrochent sur les crochets accrochés eux-mêmes sur le poteau central de la petite piste A la fin, les artistes sont là mais, bientôt, ils disparaissent derrière une forêt circulaire de miroirs. Bref ils nous en mettent plein la vue. Et donc, chapo !

C’est l’histoire d’un couple (bis). Celui formé par Nathalie Garraud et Olivier Saccomano. Ils dirigent ensemble un CDN, le Théâtre des Treize vents de Montpellier. Il écrit, elle met en scène. Pour Monde nouveau, leur nouveau spectacle, Nathalie Garraud signe également la scénographie et les deux se partageant la dramaturgie.

Rien de commun avec le spectacle de Bêtes de foire. Et pourtant, Nathalie et Olivier parlent d’une « machinerie qui exhibe ses rouages » comme aurait pu le faire Elsa et Laurent. Passons. Garraud et Saccomano disent vouloir œuvrer dans la lignée du Procès de Kafka et des Temps modernes de Chaplin « « des œuvres qui dessinent une étrange mosaïque où une foule de situations et de micro-actions concrètes racontent, en même temps qu’elles l’affectent, une espèce humaine prise à son propre pièg» lit-on dans la feuille de salle.

Or donc, dans Monde nouveau apparaissent des hommes et des femmes habillés du cou aux mollets de combinaisons moulantes couleurs chair. Ce sont des K nous dit la version papier du texte. Numérotés 1, 2, 3 etc. Les identités et les personnalités des actrices et des acteurs semblent se dissoudre dans leur fonction. Elles et ils vont s’habiller, se déshabiller, se rhabiller, s’allonger, se relever, manipuler des cadres, etc.Tout en causant ça et là. Il est, par exemple, questions de projets immobiliers un rien futuristes avec des lumières faites de centaines de couchers de soleil captés et compressés, etc. Trump , Meloni et Milei viendront faire un tour de piste et interrogeront Alice C, une femme de ménage qui nous raconte par le menu combien il faut de temps pour nettoyer chaque objet d’une chambre d’hôtel . Rare moment. Car tout au long de Temps nouveau  le langage abstrait, techno, domine. Exemple au hasard ; 

« K3 Les données collectées en temps réel apparaissent sous forme de tableaux vivants …

K4 Permettant de cibler à échéance variable, heure, jour, semaine, les événements remarquables survenus/

K7et K4 Dans chaque ligne et dans chaque colonne.. ;

K3 En positif comme en négatif..

K4 afin de pouvoir modéliser les courbes de comportement... »

Il y en a comme cela des pages et des pages. Même si « l’accompagnement humain coextensif à l’ensemble du processus s’appuie sur une/ ré-élaboration partagée du langage interne», j’avoue que l’accumulation d’un tel langage a rapidement provoqué en moi une sorte autoprotection auditive : je n’ai plus entendu des mots mais leur embrouillamini, leur bouillie, je n’ai plus vu des corps agissants d’actrices et d’acteurs, mais de mornes automates. J’étais pris au piège. Alors je me suis téléporté par la pensée et j’ai quitté le «  Monde nouveau» et son remugle pour rejoindre l’increvable vitalité des « Bêtes de foire ».

Printemps des comédiens :

Au  Domaine d’O « Décrochez-moi-ça » les 3, 5 et 7 juin .Puis tournée : du 25 juillet au 2 août au festival de théâtre à Phalsbourg, puis du 13 au 31 août au Letni Letna de .

Au Théâtre des treize vents « Monde nouveau » les 5, 6 et 7 juin ; Puis tournée à la rentrée :

les 19 et 20 nov à L’empreinte de Brive-Tulle, les 25 et 26 nov à Malakoff, les 11 et 12 déc aux Quinconces et L’Espal du Mans, les 16 et 17 déc au T2G de Gennevilliers, du 5 au 14 février au Manège de Maubeuge, le 13 mars à la Comédie de Béthune, du 17 au 19 mars aux Célestins, Lyon, du 25 au 28 mars au Théâtre Joliette à Marseille du 31 mars au 3 avril Le Cratère à Alès
le 14 avril au Théâtre Molière de Sète, le 16 avril à l’Archipel de Thau

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