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Billet de blog 2 juillet 2015

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La flamme Thomas Bernhard, de Serge Merlin à Krystian Lupa

Parfois, une photographie d’un acteur au travail porte en elle toute la force du spectacle. Qu’on l’ait vu, revu, pas vu. C’est le cas de cette photo signée Dunnara Meas où l’on reconnaît l’acteur Serge Merlin. La photo a été prise au Théâtre de l’Œuvre où l’acteur affrontait la bête de texte qu’est « Extinction » de Thomas Bernhard.

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Illustration 1
© Dunnara Meas

Parfois, une photographie d’un acteur au travail porte en elle toute la force du spectacle. Qu’on l’ait vu, revu, pas vu. C’est le cas de cette photo signée Dunnara Meas où l’on reconnaît l’acteur Serge Merlin. La photo a été prise au Théâtre de l’Œuvre où l’acteur affrontait la bête de texte qu’est Extinction de Thomas Bernhard.  

Des bras armés

Un texte éruptif, vociférant, ruminant ; un texte « bernhardien », dit Merlin, et, en cela, prolongeant la plupart de ses autres textes. Mais, dans ce récit de la fin, presque ultime, Merlin voit aussi un « Thomas Bernhard possiblement réconcilié », « les bras ballants, il se laisse aller à la vie », dit-il. Le spectacle mis en scène par Alain Françon et Blandine Masson avait été créé à Paris au Théâtre de la Colline en mars 2010, il a été repris au Théâtre de l’Œuvre pour une série de représentations qui se sont achevées le 24 juin. Que fait là ce micro ? Etait-ce un soir d’enregistrement pour France Culture ?

Regardons la photo. Serge Merlin n’a pas « les bras ballants », il ne peut pas entre être ainsi, sinon le théâtre serait un art pléonastique, un bidouilleur du copier-coller, il ne peut pas laisser ses bras « aller à la vie » en soulignant d’un geste une inflexion de phrase comme on le fait justement dans la vie et comme le font sur scène des acteurs peu exigeants. Regardez ces bras. Ce ne sont pas seulement des bras aimants, des doigts noueux d’amour, ce sont des bras armés, oui, armés d’une force de frappe. Deux machines de guerre à fendre l’air. Chacun son combat. Le bras gauche prolongé par sa main ouverte veille sur le feu sacré du texte posé sur la table, il s’y chauffe, s’en nourrit, il est au repos avant l’assaut. Le bras droit, lui, est au cœur du combat, poing fermé, il ne frappe pas le front mais, tout en tension, y inocule la rage de dire.

D’un bras l’autre, un double mouvement qui est celui même d’Extinction. Difficile de parler calmement des yeux de l’acteur tant ils sont là, ouverts, déterminés à faire peur. Ils ne nous regardent pas. Ils scrutent au loin un chemin invisible où marche Thomas Bernhard. On entre parfois dans un spectacle, par effraction. Et c’est par effraction que la voix inqualifiable de l’acteur nous revient quand on regarde intensément cette photographie.

Une société des amis

Merlin n’en a pas fini avec Thomas Bernhard, il n’en finira jamais. Tout comme le Polonais Krystian Lupa. L’un et l’autre font partie du cercle restreint de la société des amis de Thomas Bernhard mise sur pied par le frère de l’auteur. Il me plaît de penser que peu de jours après avoir quitté la scène avec Serge Merlin, Thomas Bernhard va la retrouver avec Krystian Lupa.

Lupa, lui aussi, est passé par Extinction, mais dans une tout autre approche. Lui aussi revient éternellement à Thomas Bernhard, cette fois avec Des arbres à abattre, récit sous-titré « une irritation », dont il a fait une version scénique, créée la saison dernière en Pologne. A partir du 4 juillet à 15h à la Fabrica, le spectacle sera présenté, pour trop peu de jours, au Festival d’Avignon où Lupa vient pour la première fois. Un festival où Merlin, dans le off, avait naguère créé un sidérant Dépeupleur de Beckett. Il y reviendra peut-être un jour. Avec Thomas Bernhard ?

Des arbres à abattre de Thomas Bernhard, version scénique de Krystian Lupa, Festival d’Avignon, à la Fabrica, 15h, du 4 au 8 juillet.  

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