Serge Valletti publie Je m’en rappelle, 576 impressions marseillaises, David Ayala et Dan Jemmett ont conçu ensemble Macbeth (the notes). Valletti a écrit beaucoup de pièces, David Ayala a beaucoup joué, Dan Jemmett beaucoup mis en scène. La comparaison s’arrête là. Le livre du premier est un ravissement, le spectacle des compères est accablant.
Du filon à l’envie de filer
J’avoue être parti avant la fin de Macbeth (the notes) quand, après plusieurs fausses fins, David Ayala s’est éloigné du public, allant derrière un tulle au fond de la scène du Théâtre des Bouffes du nord, pour se poser devant une baignoire dont il (son personnage) nous avait dit vouloir y voir verser huit litres de sang. Je n’ai rien contre les spectacles gore, rien de tel ici, où on sollicite le rire par tous les moyens. Ayala et Jemmett ratissent large jusqu’aux confins de l’anti-intellectualisme primaire, ça racole dur, on cabotine à mort, mais seuls les très grands acteurs savent cabotiner avec art.
Jouant le rôle d’un metteur en scène, David Ayala est seul en scène. En nous regardant, il s’adresse aux acteurs et collaborateurs de sa mise en scène de Macbeth dont la première approche. Le spectacle est loin d’être prêt. Le metteur en scène lit-dit ses notes aux acteurs et techniciens (nous) après un « filage », comme c’est l’usage.
Le théâtre côté coulisses, c’est un bon filon, cela nous a valu quelques films mémorables et je me souviens d’un formidable spectacle vu en Hongrie (c’était avant l’arrivée d’Orban) mis en scène par l’un des frères Mohacy. Le metteur en scène avait très librement adapté une piécette d’un Américain racontant les coulisses d’un spectacle pendant les répétitions (première partie) puis pendant la représentation (deuxième partie). J’ai toujours regretté que ce spectacle ne soit pas venu en France. C’était drôle, plein de gags, et c’était aussi une déclaration d’amour faite au théâtre.
Des notes et un numéro
Rien de tel sur la scène du Théâtre des Bouffes du nord peu habituée à charrier des brouettes de vulgarité. Dan Jemmett et David Ayala ont signé ensemble le texte, ou du moins un canevas très élaboré (car Ayala, improvise aussi ici et là). Le metteur en scène qu’il campe est un type à prétention moderniste, il fait référence à Jan Kott (Shakespeare notre contemporain, l’un des meilleurs livres jamais écrits sur Shakespeare), à Deleuze, etc. Flanqué d’une assistante vers laquelle il se tourne régulièrement, clouant au pilori tel ou tel acteur ou le régisseur lumière ou encore la costumière, il livre ses notes qui tournent vite au numéro (d’acteur).
Le metteur en scène de ce Macbeth véhicule une image un peu surannée mais très répandue du metteur en scène monarque absolu, à la fois patron, employeur, maître d’œuvre, penseur. Et d’autant plus autoritaire qu’il feint le génie dont il sait être dépourvu. Personne n'est dupe mais personne ne moufte. Seul un technicien dira que l’heure tourne et qu’il faut en finir.
Le piège du monologue
Ce sujet aurait pu donner une pièce plaisante mais le monologue qui en résulte ne fait que (mal) repasser les plats réchauffés d’un cuistot crade, cousin éloigné de Art de Yasmina Reza. Le « seul en scène » devient un piège qui se referme. Ayala et Jemmett en ont conscience mais la solution adoptée fait pschitt : à la faveur d’un renversement de lumière, le « metteur en scène » joue plusieurs pans de Macbeth dans un songe habité ; des moments aussi répétitifs que pathétiques.
L’ensemble se mord donc la queue. Non seulement on n’a aucune envie de voir ce Macbeth fictif-là tant il apparaît boursouflé, mais Macbeth (the notes), que l’on voit, tombe dans les travers dont se moque le spectacle. On n’a donc aucune envie de voir se prolonger le spectacle que l’on est en train de voir (je parle évidemment pour moi).
Ayala fait son numéro, mouille le maillot, mais sombre dans les pires facilités. On est près du registre gras d’un Jean-Marie Bigard, très loin des subtilités d’une Valérie Lemercier. Plutôt qu’au Théâtre des Bouffes du nord, ce spectacle aurait eu sa place au Palais des glaces, chez l’opportuniste directeur du Théâtre du Rond-Point qui aime bouffer à tous les râteliers, ou dans l’un des théâtres que possède Laurent Ruquier qui ne manquera pas d’inviter Ayala à son émission télé. Je vois déjà Léa Salamé, stylo dans la main droite, l’air pénétré, demandant à l’acteur : « faire rire aujourd’hui, ça ne vous fait pas peur ? ».
Si, si, je m
’en rappelle
Mieux vaut lire Valletti. L’un des délices de ces 579 impressions marseillaises est que la lecture de ce livre fait de petites unités s’apparente aux cerises que l’on déguste debout sous l’arbre ou au paquet de chips que l’on ouvre avachi devant la télé en regardant une série : on se dit c’est la dernière (cerise, chips) et on remet ça, on se gave. Idéal pour lire dans le métro, à la plage ou au bistrot en attendant un rendez-vous qui tarde ou même en attendant rien du tout.
Chez le même éditeur (fidèle à Valletti et réciproquement) paraît conjointement une réimpression de Pourquoi j’ai jeté ma grand-mère dans le Vieux-Port. D’un côté à l’autre du boulevard Chave, les deux livres se répondent.
Valletti a vécu à Marseille ses vingt-deux premières années (de 1951 à 1973) et c’est le Marseille de cette époque qui refait surface, selon un mode de resurgissement proche de Perec. Le « Je me souviens » premier est ici remplacé par le final « Je m’en rappelle », plus parlé, plus vallettien. Exemple : « Les tables de ping-pong du bar-tabac à côté du Cincinnati sur le Vieux-Port (elles étaient toujours occupées et il fallait attendre des heures pour pouvoir y jouer), je m’en rappelle. »
Aux bars du souvenir
On retrouve plusieurs fois ce bar et d’autres bars (« les trois marches de l’entrée du Taxi Bar »), mais aussi « la maison du fada » (celle de Le Corbusier), « Les lumières du dancing l’Alhambra, en haut à droite du boulevard Chave, là où le tramway 68 tournait pour disparaître vers le cimetière Saint-Pierre, je m’en rappelle ». Toute une géographie marseillaise d’antan.
Certaines impressions de l’enfant que fut Valletti ne sont pas proprement marseillaises, comme la peur du générique de l’émission radiophonique « Les Maîtres du mystère ». D’autres, en quelques mots, bâtissent une scène et font penser à ces croquis que Fellini glisse dans ses films. Ainsi « le torse nu et bronzé du monsieur », toujours à sa fenêtre, au troisième étage.
Ou, ce délice qu’est la 216e impression : « La voix agacée du gardien de l’hôtel à La Spezia qui hurlait dans le parking pour que ma mère gare l’ID19 dans le sens qu’il voulait (elle n’y arrivait pas et excédé il criait : "vis-à-vis ! vis-à-vis ! vis-à-vis !"), je m’en rappelle. »
Marseille mon amour
Ce nouveau livre vient gonfler la longue liste d’œuvres de Valletti où Marseille tient ouvertement lieu de coach, de conseiller technique, de maître de chant, de puits inépuisable. Ensemble dont fait partie son fleuve, phénoménal et magnifique Toutaristophane, traduction-réappropriation des pièces d’Aristophane (Valletti va jusqu’à changer un peu ou beaucoup les titres). On ne désespère pas de voir un jour ces pièces portées à la scène, toutes d’un coup (à ce jour cinq volumes parus, soit dix pièces). Dans Les Marseillais d’après Les Cavaliers d’Aristophane, on voit un certain Monsieur Latoupie dialoguer de la pluie et du beau temps avec Socrate.
Une dernière impression pour la route : « Mon étonnement d’apprendre que Sacha n’était pas marseillais, ne comprenait pas ce que je voulais dire quand je disais le mot dégun, je m’en rappelle. »
Macbeth (the notes), Théâtre des Bouffes du nord, du mar au sam 20h30, jusqu’au 14 novembre.
Je m’en rappelle, 579 impressions marseillaises de Serge Valletti, éditions l’Atalante, 96 p., 10,50€.