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Billet de blog 3 janvier 2024

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Un, deux trois, L’Arche

Longtemps propriétaire des éditions de l’Arche, l’Allemand Rudolph Rach publie « L’Arche et la galère ». Il ne ménage pas Robert Voisin, celui qui, avant lui, avait fondé l’Arche en 1949 et s’attarde peu sur Claire Stavaux, l’une de ses collaboratrices, qui a racheté la maison d’édition en 2017.

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Le sous-titre du livre traduit de l’allemand le résume : « un éditeur sur le pont ». Rudolph Rach et sa compagne et collaboratrice Katarina von Bismark, ont joué un rôle essentiel dans le développement de la maison d’édition l’Arche rachetée en 1986.

Mais avant d’en arriver là, dans cette autobiographie un peu relâchée et manquant de notes pour un lecteur français, Rudoph Rach raconte longuement sa formation jusqu’à ce coup de téléphone de Joachim Unseld, fils de Siegfried Unseld, le fondateur de la maison d'édition Suhrkamp (le Gallimard allemand). Urseld comme il aime le nommer sans son prénom, lui propose, suite à la recommandation d’un écrivain ami, de venir travailler à ses côtés à Francfort, d’assurer la direction de la maison d’édition théâtrale. Le poste ayant été provisoirement repris par l’écrivain Martin Walser.

C’est le début d’une série de portraits d’écrivains, auteurs de pièces que publie la maison : outre Walser, Thomas Bernhard dont, à son arrivée, on attend une nouvelle pièce, ou bien ce nouveau venu Franz Xavier Kroetz  dont il doit lire la pièce Travail à Domicile (que, plus tard, Jacques Lassalle mettra en scène dans sa traduction française) . Et bien d’autres. Des portraits souvent acerbes. « Vous voulez me voler » lui hurle Kroetz « avec un fort accent bavarois » , Bernhard est décrit comme une personne obsédée par l’argent. Peter Weiss dont la pièce Hölderlin est créée en 1971 par cinq théâtres en Allemagne (inimaginable en France où règne l'exclusivité), lui apparaît plus affable, plus fin, tout comme le dramaturge suisse-allemand Max Frisch dont Rach apprécie le Journal.

Sous sa direction, Suhrkamp s’occupe de publier des textes dramatiques mais tout autant de leur destinée scénique, des contrats avec les théâtres, les metteurs en scène, les acteurs; etc. . Ni le Berliner Ensemble (à ses yeux « devenu un musée », ni la Schaubhüne de Berlin (avec Peter Stein sa « tête pensante » ) qui ont d’autres pratiques ne trouvent grâce à ses yeux.

Après un départ et un détour par un théâtre d’Essen, Rudoph Rach revient à Suhrkamp et, là, à travers de nombreuses pages, il relate ses démêlées avec Pina Bauch, qui, comme ses danseuses et danseurs, exige des droits d’auteurs. « Son rapport à l’argent était étrange, écrit-il . Elle l’acceptait sans se plaindre mais elle ne pouvait pas le dépenser. » La plupart des pages sont ainsi, on y parle plus d’argent que d’œuvres et d'artistes.

Et puis un jour, à Paris, au 86 rue Bonaparte, Rach entre dans les locaux de l’Arche une petite maison d’édition fondée par Robert Voisin en 1949. Après un premier volet autour de la psychanalyse, Voisin s'était tourné vers le théâtre dans le sillage du TNP de Vilar. Il publie la revue Théâtre populaire, ouvre une collection «  Répertoire pour un théâtre populaire », etc. En 1954, la maison commence la publication en traduction du théâtre de Brecht en dix tomes à raison de trois pièces par volume. Dans ces années 70, l’Arche est un bon relais pour Suhrkamp en ce qui concerne les pays francophones.

Les années ont passé, Voisin, dans le métier depuis près de quarante ans, veut passer la main, Rach rêve d’avoir sa propre maison. Ils se parlent, se jaugent. Rach se méfie de celui qu’il qualifie plusieurs fois de « type rusé ». Le désir de l’un de vendre à bon prix et de l’autre d’avoir sa propre maison d’édition finiront par trouver un terrain d’entente, Katarina, la compagne de Rudoph y sera pour quelque chose. De nombreuses pages racontent les âpres négociations pimentées de piques de l’allemand Rach contre la SACD qui, en France a un pouvoir dominant (Rach y revient maintes fois tout au long du livre) et contre le « rusé » Voisin. L’affaire est conclue en novembre 1986. Rach fait alors un tableau terrifiant de l’état dans laquelle il trouve la maison laissée par Voisin. Elle est « dans état déplorable » avec du « mobilier usé, des câbles électrique dénudés » etc. « Il a fallu commencer à faire un grand ménage. Partout des cartons poussiéreux étaient remplis de dossiers ou de manuscrits ». Bref, à ses yeux, « tout était préhistorique ».

Leitmotiv de l’ouvrage, le feuilleton Brecht continue : en bas des accords signés avec Voisin, une clause en lettres minuscules stipulait que les héritiers reprendraient leurs droits en cas de changement de direction de l’Arche. Et Rach de repartir au front. Et voici qu'apparaît un ancien contrat que Brecht a signé avec la SACD. Etc.

Il sera peu questions d’auteurs français, excepté, en passant, Michel Vinaver qui le premier invite le nouveau propriétaire à dîner, puis, plus loin, Rach s‘attarde sur Fabrice Melquiot. On regrette que ce livre se focalise bien trop souvent sur les questions de droits et donc d’argent et parle finalement peu des auteurs. Comme si les auteurs étaient à la périphérie de la maison d’édition et non leur cœur battant.

Claire Stavaux qui était entrée comme stagiaire à l’Arche puis en était devenu éditrice et plus encore, a donc racheté l’Arche en 2017. Car, à son tour, Rach souhaitait vendre. Et Stavaux a dit vouloir acheter. Rach raconte leurs négociations à sa manière et conclut :  « la nouvelle propriétaire se présentait avec beaucoup d’assurance ; elle était convaincue de pouvoir faire mieux, et les conditions préalables ‘étaient pas mauvaises. Katarina aurait volontiers continué, mais je ne voulais plus. La vie est ainsi ». C’est trois derniers mots en français dans le texte.

La nouvelle Arche, d’Alexandra Badea à Christophe Pellet (pour ne citer que deux auteurs français), reprend l’héritage et ouvre de nouveaux chantiers. Claire Stavaux et son équipe entendent « décloisonner. Déterriorialiser. Décoloniser », « faire entendre des voix occultées », créant ainsi une nouvelle collection, « Écrits pour la parole », où se côtoient Kae Tempest, Sonia Chiambretto, Leonora Miano et bien d’autres. Mais aussi en poursuivant des traductions et des retraductions ou nouvelles éditions. Ainsi une nouvelle traduction des œuvres de Brecht qui a commencé par un formidable ensemble autour de « L’opéra de quat’sous » édité et traduit par Alexandre Pateau. Ainsi la réédition de l’Instruction de Peter Weiss dans la traduction de Jean Baudrillard avec des textes complémentaires comme ses Notes sur le théâtre documentaire ainsi qu’une postface passionnante de Thibaud Croisy. Ainsi la traduction française des œuvres de Jerzy Grotowski dont le premier des deux volumes est paru l'an dernier. Entre temps, l’Arche a abandonné la rue Bonaparte pour s’installer à Montreuil. D’une adresse et d’un propriétaire l’autre, l’Arche tient bon. Mais quand l'Arche publiera-t-elle les nouvelles pièces de Christophe Pellet, l'un de nos auteurs contemporains les plus talentueux?   

« L Arche et la galère, un éditeur sur le pont » par Rudolph Rach, traduit de l’allemand par Silvia et Jean-Claude Berutti-Ronelt, Les Solitaires intempestifs, 384p, 19€ .

Sous le titre "L'Arche éditeur", un ouvrage était paru en 2001 sous la direction de Florence Baillet  et Nicole Colin aux éditions Textuelles.

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