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Né dans les dernières décades du XIXième siècle à Budapest, fuyant plus tard la répression des nazis visant à exterminer les juifs hongrois, Molnar émigrera en Suisse puis au États-Unis où il mourra en 1952. Son œuvre romanesque et surtout théâtrale est immense, mais relativement peu traduite en français. On connaît surtout de lui une pièce, une seule, à la magie inépuisable, Liliom ou la vie et mort d’un vaurien. Dans la période récente, Marie Ballet, Jean Bellorini et Galin Stoev l’ont mis en scène avec plus ou moins de bonheur, c’est au tour de Myriam Muller qui dirige le Théâtre du centaure et est liée au théâtre de la ville de Luxembourg.
Pour les décorateurs et scénographes, la pièce est un casse-tête. Cela commence dans un bois de Budapest une fin d’après-midi de printemps. Cela se poursuit dans l’atelier d’un photographie et une pièce adjacente, puis nous voici en banlieue avec un escalier avec vue sur des rails et ainsi de suite. Le scénographe Christian Klein opte pour une structure compacte et tournante qui permet astucieusement de dire le dehors et le dedans, le confinement et, tout autour, son échappatoire.
Et l’on retrouve Liliom, sa belle gueule et sa violence, Julie, son cœur ouvert et ses poings serrés, Marie la copine et son amoureux, Madame Muscat, l’attachante directrice du manège dont l’autoritarisme cache son cœur d’artichaut, et bien d’autres personnages, certains éphémères comme des agents de police.
Cela commence par une scène d’ affrontement entre Julie et madame Muscat. Cette dernière sent le danger: elle pressent en Julie celle qui viendra lui prendre « son » Liliom qu’elle fait travailler dans son manège pour l’avoir près d’elle. Elle les a vu flirter ensemble (elle parle de « tripotage »), Liliom traite madame Muscat de « vieille truie » et Julie commente : « merci de votre finesse monsieur Liliom ». Madame Muscat le vire.
Place à l’amour qui, chez Molnar, n’est pas fait que de roses et de caresses, mais aussi de coups. Le couple est hébergé dans le coin d’un atelier voué à la photographie. Un jour Liliom cogne Julie, un autre jour il est très doux. « Il en faut des comme lui » tente Julie auprès de Marie qui, elle, flirte et un peu plus que ça avec le moins brutal Balthazar, futur fonctionnaire. Madame Muscat vient relancer Liliom. Elle veut qu’il revienne au manège, c’est pour lui que les « bonniches » viennent faire des tours, c’est lui, par son charme, qui fait tourner la boutique. Julie, elle, lui a dit qu’elle attendait un enfant. Va-t-il changer ?
Avec Dandy, son mauvais génie, Liliom prépare un coup : le vol de la paie des ouvriers d’une usine. Ils savent le jour, l’heure. Ils ne savent rien. On les prend en flagrant délit, Liliom acculé, se poignarde. On le ramène mourant chez Julie. « Tu as quitté ta Julie… tu l’as maltraitée, c’est pas bien...Mais maintenant dors, Liliom dors , salle gosse… Je t’ai tellement...C’est pas grave , tant pis...j’ai honte...j’ai tellement honte, mais je te l’ait dit...Tu le savais...mais j’ai honte, si honte...Dorin mon ange...Lion, dors »
Fait rare dans l’histoire du théâtre moderne, la pièce n’en finit pas là, elle se poursuit dans « l’au delà », section département des suicidés. On condamne Liliom à seize ans de purgatoire, après quoi il reviendra sur terre une journée pour voir sa fille de seize ans et lui apporter un cadeau mais sans que, ni elle ni sa mère, ne le reconnaissent. Et tout recommence, la gifle, l’amour comme un ritournelle , la gifle qui ne fait « même pas mal ».
La pièce dans ses gestes et ses paroles non dites explore avec finesse les méandres des violences conjugales et c’est aussi pour cela que Myriam Muller dit avoir voulu monter cette pièce sur lequel le temps passe sans lui faire de mal. Saluons pour finir l’ensemble de la distribution emmenée par Mathieu Besnard (Liliom) et Sophie Moussel (Julie) .
Le spectacle s’est donné trois fois au Kiasma de Castelnau-le-Lez dans le cadre du Printemps des comédiens, premières en France. Il sera du 12 au 14 juin au Théâtre du Nord et du 19 au 21 juin au Théâtre de la Ville de Luxembourg.
La pièce traduite du hongrois par Kristina Rády, Alexis Moati et Stratis Vouyoucas est publiée aux Editions théâtrales.