Bien qu’il soit seul sur la scène et de surcroît l’auteur du texte, Jean-René Lemoine ne l’est pas. Il est entouré de spectres, d’ombres, de non dits, d’une scène d’horreur jamais refermée. La douceur de ses mots, leur débit calme jusqu’à l’inéluctable, tout nous enserre dans ses rets, doucement pour mieux cerner l’inéluctable terreur. Le fils parle à sa mère morte, assassinée. Il est enfin en mesure de lui parler, au-delà de la peur et des larmes
Jean-René Lemoine avait mis en scène et joué Face à la mère en 2006 à la MC93, il y revient aujourd’hui, au même endroit ; non plus en solitaire, mais en confiant sa pièce et son jeu à un metteur en scène puissant Guy Cassiers (la directrice de la MC93 Hortense Archambaut ayant joué le rôle de marieuse).
Dès lors , la pièce se trouve comme amplifiée, et la dimension autobiographique peut accomplir son chemin de deuil depuis la terrible nouvelle, puis le retour provisoire au pays (Haïti) où la mère avait fini par revenir, l’enterrement où le fils se tient auprès de sa sœur , la maison de famille (qui appartenait déjà aux grands-parents) et ses balises de souvenirs puis le départ, encore une fois, de ce pays qu’il avait quitté enfant dans les bras de sa mère pour rejoindre le père en Afrique, puis plus tard, la séparation, ses années en Europe avec sa mère (sans le père vivant çà Kaboul avec une autre) avant que, plus tard, la mère ne décide à revenir à Haïti, un pays de plus en plus meurtri, de plus en plus ruiné que le fils voyait à chaque retour de plus en plus espacé auprès de sa mère « descendre dans l’abîme ».
Le fils se remémore tout avec un douceur extrême, apaisante et vibrante comme une caresse. Les larmes et l’encre s’entremêlent, le temps de l’adieu appelle celui des retrouvailles par delà la mort, mot que le texte de Jean-René Lemoine, entre blessure et baume, ignore.
Tout avait commencé par une scène de théâtre. Jean René Lemoine répétait avec ses camarades un scène de Richard III quand sa sœur l’appelle au téléphone: leur mère était morte, assassinée. Il est comme foudroyé, le sol se dérobe sous ses pieds. Face à la mère, c’est le titre , on n’en imagine pas de plus beau, dit cela. Un homme qui tombe et se relève comme il peut, bientôt aidé par l’écriture, ce bâton de survie « Je vous écris dans la chaleur de l’été parce que je ne peux pas ne pas vous écrire.Parce que j’ai besoin de vous ». Alors des lumières créent autour de lui comme des halos affectueux, alors son visage et celui de sa mère peut-être se fondent en un dans des formes informes, grises et tremblées. Un saisissement.
Jean René Lemoine avait besoin de la force scénique de Guy Cassiers pour donner à son récit, sa délicate ampleur, ce balancement du qui-vive qui l’anime et l’habite. Le metteur en scène a su s’entourer de collaborateurs aussi créatifs que complices : Jercen Kenes au son, Zélie Champeau à la lumière, Stéphane Rimasauskas à la vidéo. Merci à tous
MC93 du mer au ven 19h30 sf jeu 17 à 14h30, sam 18h30, dim 15h30, jusqu »au 19 oct. Puis tourné : festival du Caire les 25 et 26 oct, MC d’Amiens les 6 et 7 nov, le Volcan au Havre les 12 et 13 nov, le Phénix de Valenciennes dans le cadre du festival Next, le 18 nov, CDN Orléans les 5 et 6 fév, Scène nationale de l’Essonne à l’agora Desnos les 20 et 21 mars, Bonlieu, scène nationale d’Annecy du 16 au 18 mai, CDN de Valence les 6 et 7 mai.