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Billet de blog 3 décembre 2015

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Marilú Marini illumine « La Journée d’une rêveuse » et l’Argentine de Copi

Associant et adaptant deux textes de Copi, « La Journée d’une rêveuse » (une pièce) et « Rio de la Plata » (un récit autobiographique), Pierre Maillet offre une subtile partition à la plus française des actrices argentines, Marilú Marini, au firmament de son art.

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Illustration 1
scène "La journée d'une rêveuse" © Tristan Jeanne-Valès

Elle est assise de profil sur une chaise sur le côté pendant que les spectateurs entrent. Elle marmonne. Les connaisseurs de l’auteur, Copi, ne peuvent pas ne pas penser à sa femme assise qui, des années durant, égaya les lecteurs du Nouvel observateur, personnage que Marilú Marini porta au théâtre escortée par Alfredo Arias. De l’autre côté de la scène, en miroir, une autre chaise, vide celle-là. Le public étant rassemblé, l’actrice se lève, prend sa chaise va au centre du plateau dans sa robe noire, des plus spartiates, s’assoit sur sa chaise, face à nous.

« Encore une journée »

C’est un moment intense. L’actrice nous regarde et nous regardons son visage qui est comme un paysage sans âge ; barrée d’un trait horizontal, sa bouche semble avoir été redessinée par le crayon de Copi. Elle nous parle sans parler. Actrice, clown, vieille folle aux yeux écarquillés, diva. Tout à la fois. Enfin, elle ouvre la bouche et dit ces premiers mots : « Encore une journée ». Tout de suite on pense aux premiers mots de Winnie dans Oh les beaux jours. L’héroïne de Samuel Beckett, là-haut assise sur son mamelon, commence par : « Encore une journée divine ».

Vérification faite, cette réplique ne figure pas exactement dans la pièce La Journée d’une rêveuse. Nulle trahison, nulle réécriture cependant. Pierre Maillet, par ce clin d’œil, fait le lien avec la Winnie de Beckett. Dans sa proposition scénique, Jeanne la rêveuse est seule comme Winnie. Et comme cette dernière, accompagnée d’un acolyte muet et obéissant. L’homme qui rampe le long du mamelon chez Beckett est ici un pianiste (Lawrence Lehérissey) qui entrera en scène à mi-parcours.

« Qu'est-ce qu'il m'arrive ? »

Dans sa pièce, Copi fait intervenir des faux et des vrais facteurs, Louise, un fils, un marchand de melon. Dans la proposition de Maillet, ces personnages nous viennent en voix off (Marcial di Fonzo Bo, Michael Lonsdale, Pierre Maillet), quand ce n’est pas l’actrice qui prend en charge leurs répliques. Cette condensation du texte fait le lit de Rio de la Plata, texte autobiographique (ce qui veut aussi dire réinventé) sur la jeunesse argentine de Copi, texte resté inédit, écrit en 1984, trois ans avant sa mort (du sida). Tout se mêle dans un balancement magnifique et très argentin, pays où la vie est toujours un peu, beaucoup, passionnément, un théâtre.

Oui, tout se mêle : Marilú Marini, comédienne venue d’Argentine et en ayant gardé le merveilleux accent, Copi, auteur et acteur(qui adorait s’affubler en femme), la femme rêveuse. L’intrusion par bouffées du récit Rio de la Plata semble comme aller de soi. On ne sait plus trop si les souvenirs d’Argentine appartiennent à Copi, à Marilú, ou à la femme rêveuse.

Le spectacle danse, s’enroule sur lui-même dans une folie douce accentuée par le choix du faux monologue, l’actrice en changeant de robe se métamorphose, rajeunit, le temps tangue au pays du tango. Marini-Copi se fondent dans la femme rêveuse qui dialogue avec des fantômes (ceux de la pièce, ceux de l’Argentine).

Illustration 2
scène "La journée d'une rêveuse" © Tristan Jeanne-Valès

C’est un voyage hors norme, complètement « barré ». Un voyage qui nous emmène très loin dans l’univers dingo de Copi et pousse à mort la folie clownesque et divaesque (osons) d’une actrice et son art follement maîtrisé jusqu’au petit doigt (les spectateurs comprendront), Marilú Marini trouvant là ce qui est peut-être, à ce jour, son plus beau rôle. Espérons qu’elle puisse le jouer des années durant. « Qu’est-ce qu’il m’arrive ? Aujourd’hui je ne sais pas ce qu’il m’arrive », dit-elle. Et, nous non plus, on ne sait pas ce qui nous arrive, où elle nous entraîne. On est embarqué.

Les Argentins de Paris

La Journée d’une rêveuse avait été créée en janvier 1968 au Théâtre de Lutèce (haut lieu de l’avant-garde des années 60, aujourd’hui disparu) par Jorge Lavelli, Argentin comme lui exilé à Paris, avec Emmanuelle Riva dans le rôle-titre. Le spectacle de Pierre Maillet intègre la dédicace à Lavelli (en ôtant le nom du destinataire pour mieux l’inscrire dans la fiction). Sans doute Copi a-t-il écrit ces lignes sur un coin de table dans un bistrot du côté de la Contrescarpe (QG des Argentins de Paris à l’époque) en buvant un verre de blanc :

« Cher,je te donne cette pièce en souvenir attendri de la ville de Buenos Aires qui a été, pour nous aussi, un peu le parc de notre enfance. C’est dans un coin de rue rose de cette ville que nous avons tué à coups de marteau dix-sept facteurs, un marchand de melons et la putain du coin avant d’aller comme des gosses scier des patios de San Telmo… » Et ainsi de suite. Marilú Marini dit ce texte en regardant une chaise vide.

Ne serait-il pas temps de rééditer tout le théâtre de Copi, et pas seulement son théâtre ; tout Copi ? La plupart des livres sont (quasi) introuvables, même son théâtre paru (partiellement) en deux volumes chez 10/18. Marcial di Fonzo Bo, Elise Vigier, Pierre Maillet et quelques autres ne cessent de puiser chez Copi une belle part de leur énergie scénique. C’est un auteur qui ferait le bonheur des cours et écoles de théâtre qui le méconnaissent.

Dans le hall du Théâtre des Cordes à Caen, où j’ai vu le spectacle, plusieurs vitrines montrent des manuscrits de Copi provenant de l’IMEC (Institut mémoires de l’édition contemporaine), lieu de mémoires actives, situé dans l’abbaye d’Ardenne, non loin de la ville, et où sont déposées les archives de Copi. Sur une feuille manuscrite, on lit ceci : « Je m’exprime parfois dans ma langue maternelle, l’argentine, souvent dans la langue maîtresse, le français. Pour écrire ce livre, mon imagination hésite entre ma mère et ma maîtresse ». Ce livre, c’est sans doute Rio de la Plata. Le début de cette phrase se retrouve dans le spectacle.

Encore une soirée divine.

Comédie de Caen-CDN de Normandie au Théâtres de Cordes, jusqu’au 5 décembre.

Toulouse, TNT, du 8 au 12 décembre.

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