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Billet de blog 4 janvier 2024

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Marcel Marceau, histoire d’une belle vie

Deux de ses enfants publient chez Actes Sud « Histoire de ma vie », le livre écrit par leur père, le mime Marcel Marceau, allant de sa naissance à l’année 1952 avant que sa vie ne soit totalement prise dans un tourbillon mondial.

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La force du mime est d’être partout chez lui et Bip le personnage inventé par le mime Marceau fit le tour du monde, aimé de tous. Marcel Marceau fut aussi un formidable chef de troupe. S’il ne parlait pas en scène, il écrivait souvent dans sa loge.

Comme il se doit, le récit de sa vie écrit par lui-même, commence par celui de sa naissance en 1923, à Strasbourg, où son père « exerçait la profession honorable de boucher », place des Carreaux. Un père « d’origine juive et alsacienne, de père et de mère russe » à la forte personnalité qui, très jeune, en conflit avec sa famille russe, prit son balluchon et arriva en Alsace, trouva refuge dans une famille aimante. Plus tard, jeune boucher, il épousera une alsacienne et Marcel sera leur second fils après Alain, l’aîné tant aimé. « jà tout petit, j’aimais jouer seul, imaginant un monde rempli de fantômes et de lilliputiens, de magiciens et de fées qui galopaient à la poursuite de rêves fous » écrit-il. Bientôt, un « dieu entra dans ma vie » . Quel dieu ? Charlot.

A quatorze ans, il écrit un roman qu’il dédie « à la guerre civile espagnole ». La guerre mondiale éclate, le père trop âgé n’est pas mobilisé, la famille est évacuée en Dordogne. Son frère aîné entre bientôt dans la Résistance. Le jeune Marcel exerce  sa « passion du théâtre » avec une équipe de « comédiens routiers », ils présentent des  « pièces mimées sur le parvis des cathédrales » puis des pièces où il aime imiter Chaplin ou Keaton. Au cinéma il sera impressionné par Louis Jouvet et, plus encore, par Charles Dullin. Le voici, pendant la guerre, aux Arts décoratifs de Limoges. Comme d’autres camarades de l’école et dans le sillage de son frère aîné, il entrera dans la Résistance. Leur père arrêté (juif), déporté, ne reviendra pas de Treblinka. « Après la Libération et des années plus tard, il m’arrivait de rêver au retour de mon père ». Pour l’heure, il s’occupe d’enfants dont on ne sait ce que sont devenus les parents, tous les samedis, Marcel et ses amis fabriquent un spectacle, ainsi voit le jour une première et balbutiante pantomime titrée La bergère et le sauvage. Exaltation. « Le monde pouvait s’écrouler. Il n’y avait pas plus grand théâtre que le nôtre ». Mais tout reste à apprendre.

Le voici au cours Dullin où Étienne Decroux donne une cours de mime, lui « le professeur de Jean-Louis Barrault », lequel est, à ses yeux, « un jeune dieu ». Marcel admire Dullin, il vénère Decroux, « grande était la fascination qu’il exerçait sur nous ». Il passe devant lui un mimodrame de sa composition, L’assassin. Le maître apprécie et propose à l’élève de venir aussi à ses cours privés. Dullin aussi, à son cours, le remarque. Decroux lui offrira une photo dédicacée : «  A Marcel Marceau, inconnu en 1944, Étienne Decroux prédit une vie heureuse et prospère ; L’art le conservera en éternelle jeunesse ». Il est mobilisé.

Au retour, il reprend les cours auprès de ses maîtres et s’affirme. « Arlequin chez Barrault, mime chez Decroux, acteur chez Dullin, je vivais le début de mon rêve ; j’avais étudié Charlot, Barrault, Pierrot mais j’avais besoin de créer un personnage ». L’occasion lui en est donné lorsqu’on lui propose de se produire au Théâtre de poche (quatre vingt places). « Arlequin, Charlot, Pierrot se fondirent en un seul personnage, mais comment l’appeler ? ». Il songe à Pip le héros de Dickens (Les grandes espérances). Il remplace p par b, Bip est né. « Chaplin avait le melon, Buster Keaton, son petit chapeau plat un peu cabossé, Pierrot avait un serre-tête : Bip aura un haut-de-forme au bout duquel tremblerait une fleur rouge .Ainsi naquit Bip le 22 mars 1947». Il a vingt quatre ans. Bientôt il crée un mimodrame à plusieurs intitulé Je suis mort avant l’aube. Le succès est là. L’ombrageux Decroux lui envoie une lettre de rupture qui, de fait, le libère.

C’est le début d’une irrésistible ascension avec des spectacles inoubliables comme -s’il ne fallait n’en citer qu‘un- Le manteau d’après Gogol sans cesse remis sur le métier à côté des aventures de Bip sans cesse augmentées et renouvelées. Son tour du monde ou plutôt ses tours du monde commenceront par une invitation en Israël. Marcel Marceau triomphera de New York à Tokyo et aura le souci de créer une troupe. « Chaque fois qu’une crise menaçait la troupe financièrement, nous reprîmes Le manteau de Gogol. Ainsi nous le jouâmes trois cent cinquante fois à Paris et nous l’emmenâmes aux États-Unis où nous le présentâmes en 1961, et cela pour quatre-vingt-dix représentations ».

Son récit s’arrête en 1952 par cette phrase : « Le jour où l’intérêt ne régnera plus sur l’univers où l’homme sera un frère voyant pour son semblable, ce jour, le monde connaîtra la paix ». On en est loin, très loin.

1952, c’est aussi l’année où Pierre Véry, qui était mime chez Decroux, rejoint la compagnie Marcel Marceau et deviendra un partenaire fidèle jusqu’en 1978. C’est lui qui, dans une incroyable fixité, regarde le public, portant un drap comme un torero où est inscrit le nom de la pantomime qui va suivre. Le mime Gilles Segal a aussi rejoint la troupe. Ils seront nombreux au fil des années à passer par là. Chaque année, la troupe parcourt le monde d’ouest en est, du nord au sud. A Paris, Marceau a une prédilection pour les théâtres des grands boulevards et, en particulier, le regretté Théâtre de l’Ambigu (dont il disait qu’il avait la meilleure acoustique des théâtres de Paris) où il se produit une première fois en 1956 avant d’y revenir y créer Paris qui rit Paris qui pleure qui reste six mois à l’affiche.

Comme les tournées et les créations, les épouses se succèdent, elles aussi. Et les enfants. La maladie le rattrape une première fois en 1985. Mais dès l’année suivante, il repart en tournée avec les Tréteaux de France. Et Bip parcourt encore le monde. En 1991, victime co-lattérale de la guerre du Golfe, la compagnie, en redressement judiciaire, est mise en sommeil. Elle renaît deux ans plus tard grace à une subvention du ministère de la culture, et le Manteau remet ça l’Espace Cardin. Et ainsi de suite .

L’école Marcel Marceau créée en 1978 s’installe dans ce qui est devenu aujourd’hui le Théâtre du Petit Saint Martin. Au fil des décennies, les élèves finiront par se raréfier, et puis le directeur n’est pas un gestionnaire. On le lâche. En 2005, l’école ferme, Marcel Marceau a quatre vingt deux ans. Il est revenu épuisé d’une tournée en Amérique latine et à Cuba où il a présenté son One man show. Un jour, son corps lâche, on le conduit aux urgences. Il quitte définitivement la scène et meurt deux ans plus tard. Bip et ses dizaines de pantomimes reposent au Père Lachaise. Deux de ses enfants, Camille et Aurélia Marceau ont préfacé le texte de leur père, le complétant par une utile et précise chronologie ainsi que de nombreuses illustrations. Une belle vie, un bel ouvrage.

Histoire de la vie par Marcel Marceau, Actes sud, 264 p, 39,90€

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