
Agrandissement : Illustration 1

Dramaturge aussi prolixe qu’international, Pascal Rambert a écrit Finlandia ( cela e passe en Finlande , comme chez Molière, on dit « c’est un sonnet ») pour une actrice et un acteur espagnols Irène Escobar et Israel Elejalde. Les deux personnages de la pièce portent leur prénom et dans la version française les prénoms de l’actrice Victoria Quesnel et de l’acteur Joseph Drouet. De même Rambert avait écrit, son chef d’œuvre, traduit dans le monde entier, Clôture de l’amour pour Pascal Rambert et Audrey Bonnet.
On retrouve ici une scène de dispute/rupture mais le temps a passé, le couple a enfant, une petite fille peu causante (une réplique finale) rivée à son portable et écoutant ses parents se foutre nuitamment sur la gueule et se disputer à propos d’elle (entre autres agaceries) , dans une chambre d’hôtel de standing international ( lit king size, baies vitrées, frigo plein) à Helsinki, là haut, au bout de l’Europe où Victoria, évidemment actrice, tourne on ne sait quoi dans une production chinoise. Joseph , son bonhomme de mari ou compagnon, a fait quatre mille kilomètres depuis Madrid pour rejoindre Helsinki, retrouver sa compagne ( mais peut être en a-t-il une autre, une femme l‘appellera sur son portable du côté de 4 heures quelques du matin) et surtout récupérer sa fille et partir avec elle.
Il est donc près de quatre du matin quand la lumière tarde à se faire dans cette chambre où un couple dort dans le noir, mais ça dort mal, la femme remue, l’homme se lève et ne supporte pas que sa femme ait encore envie de dormir, allume une cigarette. Ce qu’il dit pas, ni à sa femme, ni même à nous spectateurs (il n’y a pas d'aparte dans le théâtre de Rambert, pas de coups en douce, c’est toujours face contre face), c’est qu’il a demandé à sa fille d’être prête à l’aube pour la ramener à Madrid. La voici qui apparaît aux deux tiers de la pièce. Souhaite-t-elle rester avec sa mère, ou partir avec son père ? demandera le père. Elle ne répondra pas, elle ne dit rien. Sans doute souhaite-t-elle d’abord que son père et sa mère cessent de se foutre sur la gueule une fois de plus (elle semble habitué à ce spectacle), qu’ils restent ensemble comme avant, sa seule réplique finale, la ramène au temps heureux où ses parents ne se disputaient pas et lui lisait des histoires. Alors en regardant l’écran de son téléphone portable, la gamine assiste un rien habituée -comme nous, vieux rambertiens que nous sommes- à une énième scène de dispute d’un couple au bord de la rupture.
Pascal Rambert a écrit Finlandia dans des avions, des chambres d’hôtel, à cheval sur plusieurs pays (« septembre 2021 / Toyooka / Paris / Milan / Athènes / Paris / New York / janvier 2022 » est-il précisé) comme la plupart des pièces de ces dernières années venues grossir les rangs d’une production déjà abondante.
Parti de Nice il y a un demi siècle, l’auteur- metteur en scène (et plus rarement acteur) est d’abord monté à Paris avant de monter dans des avions et de faire le tour du monde avec ses pièces, multi-traduites, qu’il met souvent en scène. La profusion ne rime pas forcément bien avec perfection, mais, botte secrète, depuis ses balbutiements niçois avec son groupe, l’auteur-acteur-metteur en scène Pascal Rambert a toujours plus ou moins écrit pour des actrices, des acteurs. Ses pièces sont doublement adressées. Aux actrices et acteurs qui vont les jouer après avoir influé plus ou moins directement sur leur écriture (tout comme la vie de l’auteur) et, bien sûr, au public du monde entier.
La force de La clôture de l’amour, son chef d’œuvre devenu un « classique contemporain », outre son écriture au cordeau, venait de son audacieuse structure : elle parle, il encaisse, il parle, elle encaisse. Basta. Du brut, du brutal comme disait les tontons flingueurs. Audrey Bonnet et Stanislas Nordey, pour lesquels la pièce avait été écrite, étincelaient. Ils reprendront la pièce dans quelques semaines, si vous n’avez pas vu, si vous voulez revoir, retenez vos places.
Avec Finlandia, rien de très audacieux : on s’engueule, on se dispute, par moments cela frise le théâtre de boulevard. La pièce a été écrite pour une actrice et un acteur espagnols qui l’ont créé en Espagne, elle est ici reprise en français par une actrice et un acteur phares de la troupe de Julien Gosselin, les deux jouaient encore il y a peu dans Le passé: Victoria Quesnel et Joseph Drouet. Rambert les avait repérés, il avait envie de travailler avec. C’est fait . Et bien fait.
L’espagnole Irène devient la française Victoria, Israël devient Joseph . L’actrice et l’acteur français sont précis, physiques, ils occupent bien l’espace de la chambre autour du lit, dessus, à ses pieds ou se déplaçant vers le frigo ou la baie vitrée, ils boxent pleinement le texte et mais c’est ce dernier qui les limite dans un registre répétitif, harassant. C’est voulu par Rambert qui signe aussi la mise en scène et l’espace. « Je voulais faire quelque chose de laid. Une pièce très concrète, très réaliste, très ancrée. Où les rapports sont extrêmes, bêtes et violents » insiste-t-il. C’est le cas. Et il ajoute : « Ce n’est pas Clôture de l’amour. C’est pire. Pire dans ce que les êtres humains peuvent faire ». Peuvent faire quand il y a, entre l’homme et la femme, au cœur d’un amour finissant sinon mort, un enfant bien vivant témoin de leur amour en déconfiture. L’enfant n’a pas besoin de parler pour être là. L’homme et la femme se disputent l’enfant comme deux chiens un os à ronger. C’est bestial. Tous les coups sont permis :le chantage, l’espionnage amoureux, l’humiliation, la jalousie, les reproches ou encore le mensonge. Ça se bat, ça se castagne à coups de mots, de corps, de phrases assassines, de vieux reste d’amour.
Ainsi au début :
Victoria : je n’ai pas envie de te parler tu comprends ? je n’en peux plus tu me fais peur je suis ici en tournage avec le film chinois que tu méprises tant et je veux mettre du silence entre toi et moi ok ? je ne veux pas voir mon portable vibrer toutes les trois minutes parce que tu crois que je suis en train de parler avec un acteur que tu as vu sur mon Instagram tu es dingue je ne veux plus c’est fini les interrogatoires les insinuations les menaces la terreur
Joseph : la terreur ? c’est toi qui nous terrorises avec Nina
Victoria : moi je vous terrorise ? moi je vous terrorise ? mais tu es hors de contrôle il va falloir que tu consultes très vite toutes les tentatives de conciliation ne vont rien donner (..) »
Et vers la fin (après avoir sniffé de la coke et fait l’amour)
Victoria : Tu est vraiment une ordure
Joseph : Calme-toi
Victoria : non je ne me calme pas non je ne vais pas me calmer tu es vraiment une vraie merde parler comme ça devant moi à cette pute décrocher à cinq heures du matin pour répondre à cette pute ça tu le fais devant moi ? Ça tu le fais devant moi ? Mais je vais t’exploser la tête (...) »
Et ainsi de suite.
Reste de jalousie, reste de désir, reste d’amour. Rambert a l'art d' accommoder ces restes.
Finlandia,Théâtre des Bouffes du Nord, du mar au sam 20h, dim 16h, jusqu’au 10 mars. Le texte de la pièce est paru aux Solitaires Intempestifs comme tout le théâtre de Rambert.
Clôture de l’amour sera à l’affiche du Théâtre 14 du 23 avril au 4 mai