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Billet de blog 4 avril 2023

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Tout femmes : « Berreta 68 » et « La crèche, mécanique d’un conflit »

Au TNS, huit élèves de l’école (actrices, régisseuses, scénographes et costumières) réunies en un collectif « exclusivement féminin », mettent en scène et interprètent « Beretta 68 » autour des écrits et de la personne de Valérie Solanas. Au TGP, neuf actrices interprètent « La crèche : mécanique d’un conflit », un texte de François Hien librement adapté de l’affaire Baby-Loup.

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Illustration 1
Scène de "Berreta 68" © Jean-Louis Fernandez

Berreta 68 est une carte blanche saisie haut la main par huit élèves du groupe 47 du TNS, huit femmes entre elles. Loïse Beauseigneur est élève en section scénographie-costumes comme Jeanne Daniel-Nguyen et Valentine Lê, Léa Bonhomme est en régie-création comme Charlotte Moussié et Manon Poirier, Jade Emmanuel est en section jeu comme Manon Xardel. Elles jouent, font la régie son et lumière, ont conçu le décor, choisi et agencé les propos souvent incendiaires avant de les proférer. Toutes ou presque jouent, toutes signent cette création collective enlevée et têtue. Le pistolet Berreta 92 est un pistolet remarquable, Berreta 68 est un spectacle qui fait mouche. Chacune des neuf a participé à l’écriture en acte du spectacle, chacune essayant « des métiers qui n’étaient pas ceux pour lesquels nous avons été formée à l’école du TNS ».

« Par quelles voies passe la violence des femmes aujourd’hui ? Comment s’est elle manifestée par le passé ? Comment a -t-elle été censurée ?... ». Ce sont quelques unes des questions qu’elles se posent et qui traversent le spectacle à travers des extraits du Scum manifesto de Valérie Solanas (et sa « « société pour tailler les hommes en pièces ») et des extraits de la pièce que Sara Stridberg a consacré à cette femme qui, un jour de 1968, avait tiré plusieurs balles sur Andy Wahrol. Le spectacle s’appuie tout autant sur divers textes féministes dont le King kong theory de Virginie Despentes, Dirty week-end d’Helena Zahavi ou Les orageuses de Marcia Brunier. C’est un spectacle qui martèle des mots souvent audacieux, met en branle une énergie scénique collective peu commune et particulièrement inventive tout en donnant une impression de qui vive et d’urgence. Le spectacle s’est donné six fois du 29 mars au 1er avril.

La crèche :mécanique d’un conflit est un spectacle, lui aussi impressionnant mais d’une toute autre nature. Au départ il y a l’affaire Baby Loup, une crèche associative à Chantelou-les-Vignes dans les Yvelines, ouverte 24h sur 24 et sept jours sur sept, ayant pour but d’aider les femmes seules ou en grande difficulté à gagner une certaine autonomie. Partie en congé parental durant cinq ans (naissance de plusieurs enfants), Fatima Afif, directrice adjointe de la crèche avant son long congé , au moment de reprendre le travail, demande à venir travailler revêtue de son voile. Refus de la directrice Natalia Baleato, une exilée chilienne de gauche, féministe et laïque : le règlement intérieur de l’association impose une neutralité confessionnelle. Mise à pied et licenciée Fatima crie à la discrimination Entre 2008 et 2014, l’affaire va défrayer la chronique médiatique et bouleverser la vie du quartier. Montée en puissance dans les médias, etc. La crèche finira par fermer et ira s’installer ailleurs. Stricte laïcité républicaine ou acte islamophobe ? La question a évolué avec le temps et les femmes voilées au travail se sont en parties banalisées. François Hien est reparti enquêter sur cette affaire des années plus tard, sans pouvoir rencontrer Fatima Alif mais en rencontrant longuement Natalia Baleato. Il en a fait un livre Retour à Baby-Loup sous-titré « Contribution à une désescalade » (Éditions Petra), puis il a écrit La Crèche : mécanique d’un conflit, une pièce s’inspirant de l’affaire mais s’en détachant. Sa première pièce. En 2016.

Illustration 2
Scène de "La crèche: méncanique d'un conflit" © juliette Parisot

Nicolas Ligeon et François Hien ont créé la compagnie l’Harmonie communale qui monte les pièces de l’auteur maison, ils entendent pratiquer « un théâtre reposant principalement sur le texte, le jeu et une adresse directe à l’intention du public », un théâtre d’acteurs où la « mise en scène est assumée le plus souvent collectivement par les comédiens au plateau ». Les pièces traversent les fractures de la société sans pour autant relever d’un théâtre d’actualité ou d’un théâtre documentaire insistent-ils..

François Hien a écrit d’autres pièces et c’est une nouvelle version de La crèche qui est actuellement à l’affiche du TGP de Saint Denis après l’avoir été au TNP de Villeurbanne. François Hien et son équipe de l’Harmonie communale entamant ainsi un travail au long cours au sein du TNP qui débouchera sur un création en janvier 2024.

Neuf actrices se partagent le plateau ; Estelle Clément-Bealem, Clémentine Beth,Kadiatou Camara, Imane Djelalil, Saffiya Laabab, Katayoon Latif, Flora Souchier, Émilie Waiche et Amélie Zekri. La mise en scène est signée L’Harmonie communale.

Les actrices se tiennent au centre d’un dispositif bi-frontal, le décor étant réduit à quelques accessoires. Hormis la directrice Francisca (Estelle Clément-Bealem, formée à l’Ensatt) et l’ héroïne Yamina (Saffiya Laabab, formée à l’école de Saint-Etienne), chaque actrice joue plusieurs rôles. Un jeune acteur, David Achour, viendra brièvement les rejoindre.

On assiste, degré par degré, à l’instrumentalisation de l’affaire par les médias, les religieux , les politiques et comment tout cela pénètre dans la crèche. Montée des haines et des incompréhensions, ostracismes, aveuglements, manipulations. François Hien, par sa fiction, donne à voir les rouages du conflit et ses mécanismes. Cela ne se fait pas en une poignée de minutes mais en près de trois heures et c’est juste le temps qu’il faut pour éviter les amalgames et les raccourcis, pour opérer le conflit à cœur ouvert, dans sa complexité.

Comment des êtres qui s’aiment, s’entraident et s’admirent, sous la pression de groupes, finissent par se déchirer, se haïr. « Ce qui m’intéresse, dit François Hien, c ‘est moins d’avoir une opinion arrêtée sur le sujet que d’observer comment les crispations s’emparent d’un groupe. C’est mon seul endroit de souveraineté dans l’écriture. Sur les questions politiques, notre équipe reste en débat permanent et s’offre comme garante des propos qui se déploient dans la pièce ». A la fin , actrices et public se retrouvent mêlés au centre du plateau. La discussion continue. Sur le sujet plus que sur le jeu (formidable) des actrices ou la force (puissante) de la mise en scène collective. Le théâtre, ayant fait son boulot, retourne en coulisses.

La crèche, mécanique d'un conflit, Théâtre Gérard Philipe de Saint-Denis, du lun au ven (sf mardi) 20h, Sam 18h, dim 15h30, jusqu’au 16 avril.

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