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Billet de blog 4 avril 2025

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La compagnie Das Plateau entrelace et embrasse les mots de Marine Chartrain

Jeune autrice repérée par Théâtre ouvert, Marine Chartrain a écrit « Lac artificiel », l’errance de deux amies interprétées par la seule Maëlys Ricordeau. Une magnifique proposition de la metteure en scène Céleste Germe

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Illustration 1
Dispositif pour "Lac artificiel" © dr

Cela commence comme dans un film. Une nuit d’été, une jeune fille, Laura, sort d’un pavillon traverse le parc Youri Gagarine (on devine une ville ou une banlieue plutôt populaire et sans doute de gauche (on voit mal Bayrou choisir ce nom pour baptiser un parc de Pau), sous un abri bus avec une pub pour une fast-food, elle retrouve Salomé. Elles s’éloignent, traversent des terrains vague et arrivent devant un parking vide non loin du Pacha club, visiblement fermé.

Alors la première, Salomé parle. Elle est au Pacha club, a bu et rebu de la vodka pomme,

des mains touchent son corps, elle vomit « je suis là Salomé, ne t’en fait pas » dit Laura qui lui essuie le vomi. « J’essaie de t’aider » dit Laura. « Je n’ai pas besoin de ton aide » répond Salomé. Premier signe d’une tension qui ira grandissante entre une Laura qui a de l’ascendant sur son amie et Salomé qui veut s’en émanciper.

Le Pacha club restant fermé, elles s’éloignent, marchent sur un route pour atteindre un lac « Lucas m’a dit qu’il était au lac et qu’il y avait du monde là bas » dit Laura qui bifurque pour passer )à travers la forêt , « c’est plus rapide » dit Laura, enfant , elle prenait ce chemin avec son père. Salomé la suit comme à regret. Les mini signes de tension entre les jeunes filles amies se multiplient à bas bruit. Elles marchent maintenant dans la boue. A propos du cosmos , d’un arbre ou de ce qu’elles vont faire dans la vie (rester ici ou partir), elles s’éloignent l’une de l’autre insidieusement ou brutalement (Salomé jette le téléphone de Laura).Le récrit d'une soirée où Salomé est allée sans Laura va précipiter la rupture fragile de la dépendance de Salomé. « On n’est pas obligées de tout le temps tout faire ensemble » dit-elle à Laura. Elles ne trouveront pas le lac. Salomé s’est légèrement blessée, ne veut plus marcher. Laura part chercher de l’aide. Salomé : «  Ne pars pas Laura merde s’il te plaît ne pars pas j’ai trop peur la nuit ». Ce sont les derniers mots de la pièce titrée , écrite par Marine Chartrain et publié en tapuscrit par Théâtre Ouvert.

Née en 1995, après une licence de lettres, Marine Chartrain est entrée à l’école Claude Mathieu où elle a écrit son premier texte avant d’intégrer le département écriture dramatique de l’ENSAT dirigé par Marion Aubert et Pauline Peyrade. Elle écrit donc des pièces. Mais comment mettre en scène Lac artificiel , ce long travelling entre Laura et Salomé, de parking en forêt, de souvenirs d’attouchements, de cuites et de rêves d’ailleurs, tout un entrelacs qui, dans un même mouvement, fortifie et met en danger l’amitié qui les relie.

Théâtre Ouvert a confié ce texte à Céleste Germe, metteure en scène des spectacles de la compagnie Das Plateau dont Maëlys Ricordeau est une actrice permanente de la compagnie depuis le début. Quel rôle allait-elle interpréter, Laura ou Salomé ? Les deux. Une idée forte. « Confier à Maëlys Ricordeau les deux rôles permettrait de faire entendre plus perceptiblement la manière dont Marine Chartrain les avait écrits,en reflets l’un de l’autre, miroir et miroir inversé, à la fois identiques et opposés ». Deux voix venant d’une même gorge, sœurs et opposées. Cet exploit, l’actrice le maintien de bout en bout avec dextérité et délicatesse.

Il fallait pour cela construire un îlot perdu dans la nuit et ses bruissements ce à quoi s’emploient le musicien Jacob Stambach (autre co fondateur de Das Plateau) le scénographe James Brandily et les lumières de Sébastien Lefèvre et le manitou du son qu’est Jérôme Tuncer. L’écriture sans ponctuation, sans ornements et sans artifices de Marine Chartrain s’y déploie pleinement et l’exploit de l’actrice Maëlys Ricordeau va jusqu’à ous faire voir ce que l’on ne voit pas ; ce parking, cette forêt, ces mains sur des corps, ces ronces de l’amitié.

Théâtre Ouvert, jusqu ‘au 12 avril

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