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Billet de blog 5 mars 2017

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La journaliste russe Zoïa Svetova dérange, on vient la perquisitionner

Journaliste indépendante russe, Zoïa Svetova a été huit ans visiteuse de prison, elle a suivi les procès de beaucoup de prisonniers politiques et a écrit un livre sur la justice en Russie. On cherche à la faire taire, alors on tente de lui faire peur. Première salve : une longue perquisition. Qui n’est pas passée inaperçue.

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Mardi dernier, tôt le matin, on sonne à l’interphone d’un appartement au centre de Moscou. « C’est pour une convocation. »

Illustration 1
Zoïa Svetova © dr

La journaliste Zoïa Svetova avait été informée d’une convocation en novembre dernier mais c’était resté sans suite. Elle ouvre la porte et voit débouler dans l’escalier de l’immeuble huit personnes. Six membres du FSB (anciennement KGB) et deux membres du comité d’investigation. Ce n’est pas pour une convocation, c’est pour une perquisition. Elle va durer près de dix heures.

Les innocents coupables

Ils regardent tout. Les livres, les tiroirs, les étagères, les dossiers. Ils emportent des clefs USB, des vieux ordinateurs dont on n’arrive plus à copier le contenu comme les enquêteurs viennent de le faire pour les ordinateurs plus récents de la maison. Tout y passe. Que cherchent-ils ?

Probablement des preuves d’un financement des activités de Zoïa Svetova par Mikhail Khodorkovski, ex-oligarque qui a eu le toupet de critiquer Poutine et l’a payé très cher. Après des années de prison, gracié, il vit aujourd’hui à Londres. Les enquêteurs cherchent des preuves d’un blanchiment d’argent lié à l’affaire Ioukos. Des choses comme cela. Ils n’ont rien trouvé, ces preuves n’existent pas.

Zoïa Svetova écrit des articles sur le site Internet Open Russia effectivement financé par l’ex-oligarque, mais elle travaille aussi pour le magazine New Times, participe à des émissions de radios américaines ou françaises, etc. Il se peut aussi que les nombreux articles sur les gens jetés en prison souvent pour rien, sur sa fréquentation des prisons et les liens qu’elle y a noués, aient suscité une réaction en haut lieu. Mais rien n’a été dit durant la perquisition. Elle n’a pas été interrogée, six jours après elle attend toujours de l’être pour en savoir plus.

Illustration 2
les premiers arrivés dans l'escalier © dr

Tous les journalistes français en poste ou de passage à Moscou connaissent cette femme intransigeante à la voix douce. Huit ans durant, elle a été visiteuse de prison, elle a écrit un livre Les innocents seront coupables sous-titré « Comment la justice est manipulée en Russie » traduit aux éditions François Bourin (lire ici), elle suit beaucoup de procès dont ceux de prisonniers ukrainiens comme le cinéaste Oleg Sentsov et c’est là un domaine ultra-sensible pour Poutine. Bref : Zoïa Svetova dérange. « Ils ont voulu me faire peur », dit-elle calmement.

Telle mère, telle fille

Les heures passent, la perquisition continue, et le bruit fait le tour de Moscou par la voie rapide des réseaux sociaux : « on perquisitionne chez Zoïa Svetova ». Des amis, des collègues, des anciens prisonniers politiques, l’écrivaine Loudmila Oulitskaia, cinq avocats... une cinquantaine de personnes accourent. Devant la porte de son appartement, Zoïa parle, filmée par une forêt de portables brandis à bout de bras... La presse, par les mêmes réseaux, propage la nouvelle dans toute la Russie et le monde entier. « Ils ne s’attendaient pas à cela », raconte Zoïa Svetova.

Les plus anciens se sont souvenus d’une autre perquisition. Zoïa Svetova appartient à une famille qui n’a jamais pactisé avec le régime en place. Son grand-père, l’historien Grigri Fridland a été fusillé en 1937, époque des grandes purges staliniennes. Ses parents, Félix Svetov et Zoya Krakhmalnikova, ont été des prisonniers politiques. Il y a trente-deux ans, le KGB était venu perquisitionner chez la mère de Zoïa. Lors de la perquisition chez sa fille, les enquêteurs du FBS sont tombés sur un document lié à cette ancienne perquisition. Ils ont regardé les signatures en bas de la page et ont reconnus les noms : ceux de leurs anciens professeurs à l’école de l’ex-KGB.

« La perquisition chez Zoïa Svetova, l’une des journalistes et défenseurs des droits de l’Homme les plus respectées de Russie, suscite incompréhension et inquiétude », a déclaré Sergueï Nikitine, le représentant à Moscou d’Amnesty international.

Zoïa Svetova essaie d’objectiver sa situation, elle remarque que, d’un autre côté, Poutine ouvre un peu l’étau en autorisant la marche pour Boris Nemtsov (assassiné sur un pont devant le Kremlin). Une perquisition ici, une autorisation là. Le pouvoir use du chaud et du froid. Zoïa Svetova, elle, attend toujours d’être convoquée pour un interrogatoire. Savoir pourquoi huit personnes ont fouillé son appartement dix heures durant.

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