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Billet de blog 5 août 2015

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Cami, l’idole de la Maison des mots à la Charité-sur-Loire

A la Charité-sur-Loire (Nièvre), en remontant la grande rue qui descend vers le fleuve où en cette saison les bancs de sable laissent peu de place au fil de l’eau, on tombe en arrêt au numéro 14 devant une devanture peinturlurée de petits rectangles aux sept couleurs de l’arc-en-ciel : La Maison des mots.

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Illustration 1
© jpt

Des typographies de plaisir

De fait, cela pullule. Des petits mots, des grands, imprimés dans toutes sortes de caractères. La ville est une des « cités du livre » et, de fait, les bouquinistes y sont nombreux. Mais là, c’est autre chose. Pas de vieux bouquins mais des dizaines d’ouvrages de première main de tout format, à la graphie et aux éventuelles illustrations des plus soignées. C’est la boutique la plus riante de cette petite ville de la Nièvre et pas seulement en raison des couleurs de la devanture qui ont, un temps, irrité les autorités municipales. Un nom d’auteur revient avec insistance dans les livres exposés en vitrine : Cami. Un humoriste français (1884-1958) qui n’a pas eu la postérité d’un Alphonse Allais et dont la veuve, dit-on, balança à la poubelle les notes et manuscrits de son défunt mari.

Intrigué, on pousse la porte. Tout de suite en entrant, à gauche, on tombe sur une vieille presse venue, apprendra-t-on, de Boston, et plus loin, derrière un encombrement de tables à livres, sur une presse à pédales du début du XXe siècle, un modèle créé par la fonderie Deberny et Peignot célèbre en son temps pour ses caractères typographiques. C’est de cette presse que sont sortis la plupart des (le plus souvent) minces livres qui nous entourent sous le nom d’éditeur Kickshaws (une association). L’homme assis derrière un ordinateur se lève lentement, s’avance, c’est John Crombie, le maître des lieux.

 De Montparnasse à la Charité-sur-Loire

Qui est-il ? Un éditeur ? Un imprimeur ? Un typographe ? Un concepteur de livres invraisemblables ? « Un dilettante », répond-il d’une voix fluette mâtinée d’un léger accent anglais. « Avec ma femme, nous faisons des livres par plaisir. » Sa femme, Sheila Bougne, est une graphiste, fille d’un imprimeur de Philadelphie. Elle connaissait donc quelques rudiments, lui aucun, « cela nous a permis d’explorer des voies non standardisées ».

Illustration 2
© jpt

Tout a commencé il y a 35 ans à Paris, dans une petite chambre à Montparnasse, par une collection en anglais de conteurs francophones, puis des livres d’enfants écrits par lui et illustrés par sa femme. Enfin est venu leur premier auteur : Queneau. Une adaptation en anglais de Cent milliards de poèmes avec un gros travail de mise en page et un choix déterminé de caractères typographiques. Matrice de ce qui allait suivre. Comme cet autre livre de Queneau inaugurant une série où le lecteur est le héros, puisqu’il y peut composer et recomposer sa lecture en changeant l’ordre des pages qui sont comme les cartes d’un jeu.  

C’est le cas de « D’abord », l’une des Mirlitonnades de Samuel Beckett, devenue « First », texte traduit en anglais par John Crombie lui-même (Beckett ne l’ayant pas fait). Autre curiosité, un ouvrage rassemblant, dans un magnifique rythme typographique, les phrases supprimées par Beckett dans sa version anglaise (plus courte) de son roman Mercier et Camier.

Combien Crombie en a-t-il vendu ? « Une poignée. » Tout comme ce festival de caractères d’imprimerie (Crombie possède des tas de casses) offert aux interjections d’Alphonse Allais. Tout comme ce qu'il a bricolé typographiquement avec Benjamin Perret ou Kurt Schwitters.

 Un camé de Cami

Mais Cami ? Pourquoi Cami d’abord et les autres ensuite ? John Crombie est tombé dedans il y a quinze ans. « Je voulais faire une série d’humoristes français en anglais, ça n’a pas marché, mais je suis tombé sur cet humoriste méconnu. » Une passion camiphage qui va le conduire à retrouver le  petit-fils de Cami, lequel acceptera de lui confier quelques inédits de son grand-père, John Crombie lui-même retrouvant ici et là des textes oubliés et même des inédits.

25 livres à ce jour aux éditions Kickshaws, à l’instar de Jonas ou L’Amour en baleine, une pièce en deux actes faisant trois pages suivie par Le Parapluie sanglant (même gabarit) complétée par un onzième épisode inédit de Les Nouvelles Aventures de la famille Rikiki (l’un des must de Cami qui, dans cet épisode, recycle en partie l’argument de la première pièce), le tout parachevé par une postface de John Crombie. En tout, 20 pages. Un tirage très limité, une vingtaine d’euros l’exemplaire.

Drôle de zig que ce Cami qui de son vivant publia tout de même 46 livres. Un touche-à-beaucoup-de-choses comme son futur admirateur. Fondateur-directeur du journal Le petit Corbillard destiné à distraire les employés des pompes funèbres de Paris (sept numéros), collaborateur à La Vie drôle (publication fondée par Alphonse Allais) qui assoit sa réputation de feuilletoniste humoristique, romancier (La Fille du pétardier, etc.), auto-plagiaire patenté, caricaturiste et auto-caricaturiste.

Auteur de

« Charlot se bat en duel

»

Cami (son vrai nom) voua aussi une passion à Charlie Chaplin. Il lui adressa des recueils de saynètes et deux projets de scénarios : « Charlot  dans un œuf » et « Charlot se bat en duel ». Chaplin ne donnera pas suite, ce qui n’empêchera pas Cami de l’emmener aux Folies Bergères.

Illustration 3
© jpt

En 2004, John Crombie publie les deux scénarios restés inédits sur papier Chagall fantaisie. Un tirage de 190 exemplaires (prix autour de 24 €), tirage qui était la norme pour les éditions Kickshaws il y a quelques années, « aujourd’hui, c’est 26 exemplaires indiqués de A à Z ou de Z à A », soupire John Crombie. « Il me reste des inédits de Cami. Mais à quoi bon. Il y a peut-être dix Français fanatiques de Cami. Pas davantage. »

Et un Anglais : lui. Vivant en France, entre Paris (rue de la Grande-Chaumière, source de plusieurs livres) et la Charité-sur-Loire où il tient boutique dans un antre qui fut naguère celui d’un célèbre bottier. Dans son fouillis de livres et objets livresques, je tombe sur la collection de « citations fusionnées » de John Crombie. Sous forme de carte postale, celle-ci qui ressemble à cet éditeur-imprimeur-créateur : « Je crée donc je résiste. » Et sur le flanc gauche de la devanture multicolore, cette phrase de Beckett qui lui ressemble tout autant : « Les mots nous lâchent. Il est des moments où même eux nous lâchent. »    

La Maison des mots, 14 Grande Rue, La Charité-sur-Loire (58).

Parmi les titres de Cami publiés par Kickshaws citons également L’Invalide à la pine d’argent (une chanson calligraphiée et illustrée par Cami), Le Petit Chaperon rose, La Vengeance de l’ordonnateur et autres textes épars, Les Amours d’un Hun et d’une Hune, etc. Pauvert avait publié Pour lire sous la douche avec une préface de Michel Laclos, titre republié par la suite chez Arléa dans la collection « Les grands humoristes ».

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