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Billet de blog 5 septembre 2016

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Revenir à Villerville en septembre, le temps d’Un festival

Troisième édition de la manifestation « Un festival à Villerville » sur la côte normande. Des spectacles créés in situ, pleins d’entrain et pleins d’embruns.

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Illustration 1
La mer à Villerville © jpt

Je n’étais pas revenu à Villerville depuis le jour d’octobre 2001 où l’on avait accompagné l’actrice Bérangère Bonvoisin jusqu’au cimetière baigné par l’air de la mer pour y enterrer son compagnon l’acteur Philippe Clevenot. Quelque chose, sans doute, se clôturait là, dans la disparition de cet acteur aussi magnifique qu’emblématique.

M’y revoici. L’été des festivals 2016 avait commencé avec celui de Villeréal (lire ici), il se termine avec celui de Villerville. Deux festivals pas comme les autres. A moins de dix kilomètres de Deauville, Villerville est un recoin beaucoup plus charmant et, de beaucoup, plus troublant que la station balnéaire aux rutilants festivals.

Comment naissent les festivals

Les festivals, petits devenus grands ou restés volontairement petits, ne naissent pas d’une décision politique – conseil municipal ou conseil des ministres – mais d’une rencontre imprévue entre un élu et un individu baignant dans l’art. Une histoire d’amour qui suppose beaucoup d’obstination et de compréhension. A Villerville, l’individu s’appelle Alain Desnot, naguère attaché de presse. Il fut du dernier festival Mondial du théâtre à Nancy en 1983, il accompagna la création du festival Musica à Strasbourg, on al’a vu au travail au Festival d’Avignon et au Festival d’automne durant des années. Il n’a pas d’attaches familiales directes à Villerville mais le hasard et sans doute aussi la nécessité ont fait qu’y séjournant (et il n’y a rien de plus charmant que de séjourner à Villerville), l’idée d’un festival a germé.

Autour d’une assiette de cacahuètes et d’une autre de chips (enfin,j’imagine), il en a fait part à l’élue Sylvaine de Keyzer, adjointe à la Culture, ayant longtemps travaillé dans la production audiovisuelle (j’en profite au passage pour dire ce que personne n’ignore à Villerville et ce qu’aucun touriste ne peut ignorer tant les signes sont ostensibles : c’est là qu’a été tourné Un singe en hiver, avec Gabin et Belmondo). Bref, l’entente a été plus que cordiale,l’affaire bientôt dans le sac.

Restait à remplir le sac de quelques denrées sonnantes. Cela a commencé doucettement. Cette année, troisième édition, le village de moins de sept cents habitants (mais beaucoup de parisiens y possèdent une résidence secondaire) a déboursé 3000 euros ; le département 2000. C’est déjà ça. Il faut aussi compter avec les petites mains inchiffrables d’une poignée de bénévoles, les logements gracieux chez l’habitant. En outre, Villerville fournit un appartement à l’année, une aide technique et un lieu, le Garage, assez vaste pour créer plusieurs espaces.

De Villeréal à Villerville

C’est sur le modèle de Villeréal que Desnot a rêvé le festival de Villerville : pas de spectacles importés tout bien ficelés, mais des équipes en résidence une dizaine de jours (pour l’instant), au final une proposition qui peut, ou pas, être l’amorce d’un spectacle futur. Cette troisième édition qui s’est achevée le dimanche 4 septembre au soir aura duré trois jours comme les précédentes, présentant quatre spectacles dans deux lieux, le garage et le château, réunissant une trentaine d’artistes.

Entrons dans le garage.

La compagnie Microserfs y présente France sauvage, une « création collective » mise en scène par Raphaël Defour.Ce n’est pas la France bucolo-écologique des parcs naturels, mais la sauvagerie des êtres confrontés à leur vie de couple, d’entreprise, de famille, de relations frères-sœurs, sans oublier les copains d’enfance. Chemin faisant, lubricité, inceste, viol, Atrides domestiques sont embrochés et déchiquetés à vif. Héros pasolinien qui met autant de rage à bouffer un plat de nouilles qu’à invectiver les Français franchouillards rois de l’entre-soi, un émigré vient renverser la table avant que chacun n’en fasse autant à sa façon. Cela a les vertus de la création collective : l’audace du dire et du faire, et ses défauts : une forme flasque qui peine à rendre aigus des propos par trop solitaires. Normal : ce qu’on voit est une étape de travail non un spectacle bien dans ses bottes. Une aventure en marche.

C’est aussi le cas pour Nous sommes tous des enfants, un montage de texte et d’impros sous la direction de Youssouf Abi-Ayad, un « collage », dit ce dernier, tout juste sorti de l’école du Théâtre national de Strasbourg. Une déclinaison d’installations, puis de discours, puis d’expériences (pseudo) scientifiques autour de la peur. Comment choisir ? Youssouf Abi-Ayad veut tout, il a de l’appétit. Un tâtonnement prometteur.

De façon plus ludique, trois acteurs de la compagnie la Louve, Jonathan Couzinié, Shams el Karoui et Lou Wenzel, ont demandé à plusieurs auteurs de leur écrire une longue scène ou courte pièce à partir de la notion de dérapage, des piécettes réunies sous le titre La Tragédie du lièvre. Comment une relation entre deux ou trois êtres soudain perd ses repères, son camp de base, dévisse ? S’y sont collés Olivier Balazuc, Arlette Namiand, Antoine de la Roche et Jean-Paul Wenzel, ce dernier tenant également le rôle d’œil extérieur pour les acteurs qui se sont mis en scène eux-mêmes. Certains matins, Lou Wenzel ajoutait au programme une performance solo dans la mer lorsque cette dernière acceptait qu’on lui vole la vedette ce qui n’arriva pas tous les jours.

Jouer avec Le Joueur de Dostoïevski

Pour le dernier spectacle, il fallait quitter le bar du garage où l’adjointe à la Culture servait bière et vin blanc, et monter jusqu’au château sur les hauteurs de Villerville. Un château à taille humaine, plutôt un manoir, où la compagnie « Le Balagan retrouvé » présentait une recréation de  Demain tout sera fini librement adapté du Joueur de Dostoïevski, le titre reprenant les derniers mots du roman, ceux du narrateur-joueur. La passion du jeu et celle de l’amour se mêlent dans ce roman où Dostoïevski parle des deux sujets en connaisseur.

Lionel González avait fondé une compagnie nommée Le Balagan, il l’avait mise en sommeil pour vivre d’autres aventures, en particulier avec la défunte compagnie d’Ores et déjà de Sylvain Creuzevault (Le Père Tralalère, Notre terreur) et avec Anatoli Vassiliev participant à Wroclaw (Pologne) à un atelier qui dura de très longs mois. Aujourd’hui, il retrouve sa compagnie (d’où son nom, Le Balagan retrouvé) tout en participant à des aventures jouissives comme celle de la compagnie La Vie brève de Jeanne Candel et Samuel Achache.

C’est à Wroclaw, lors de l’atelier Vassiliev, que Lionel González a rencontré la comédienne roumaine Gina Calinoiu (membre de la troupe du Théâtre national de Craiova), et l’idée magnifiquement incongrue leur est venue de travailler ensemble sur le roman russe Le Joueur (le premier grand roman de Dostoïevski), lui le Français et elle la Roumaine qui ne parle pas le français mais plutôt l’anglais. Un charivari foncièrement fidèle à ce roman russe sans frontière qui se passe souvent en Allemagne à Roulettenbourg (c’était le titre initial du roman) où s’est installé un vieux général russe, où séjournent une française, la fieffée Mademoiselle Blanche, un marquis Des Grieux on ne peut plus made in vieille France, et aussi un Anglais. Plusieurs de ces hommes tournent autour de la russe Polina (ou Pauline) qui fait tourner en bourrique le narrateur-joueur en l’envoyant jouer au casino.

L’année où Alain Desnot était l’attachée de presse du dernier festival Mondial du théâtre de Nancy, Andrzej Wajda y présentait Nastassia Filippovna, une adaptation libre de L’Idiot de Dostoïevski où Wajda imaginait ce qui se passait à la fin du roman entre le Prince et Rogojine. II avait écrit les vingt premières minutes et les acteurs improvisaient le reste. C’est aussi ce qui se passe ici entre Polina et le joueur, entre l’actrice et l’acteur. Texte et improvisation se mêlent, un jeu incertain et excitant.

Après avoir joué une dizaine de fois ce spectacle (chaque soir différent) à deux, en France et en Roumanie, à Villerville deux autres acteurs sont venus les rejoindre, deux amis de d’Ores et déjà, Damien Mongin (qui a depuis fondé le Théâtre Pôle Nord avec Lise Maussion) et Léo-Antonin Lutinier (un pilier des spectacles de Jeanne Candel et Samuel Achache, qu’on retrouvera dans la très prochaine création de Sylvain Creuzevault). Fascinant de voir arriver deux acteursdans un spectacle et de mettre les pieds dans son plat. Magnifique moment que ce spectacle ivre de Dostoïevski pour une trentaine de spectateurs assis dans un des salons du château de Villerville.

N’en disons pas plus. Ce spectacle passionnant, après de nouvelles salves de répétitions, viendra en décembre au Théâtre studio d’Alfortville. On en reparlera.

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