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Un salon-salle à manger. L’espace au premier abord pourrait être celui de bien des pièces allant du théâtre de boulevard au théâtre du quotidien. Cependant la jeune Yuri Yamada choisit ce lieu anodin pour mieux le piéger. D’abord avec l’apparition des deux bonnes qui semblent des sœurs jumelles, tant elles sont plus ou moins du même gabarit, habillées de la même façon et surtout l’une et l’autre coiffés de la même façon surprenante: cheveux tirés surmontés d’une natte verticale comme un paratonnerre. On pense, bien entendu, aux Bonnes de Genet dans leur façon d’être complices et cependant différentes et, par leur curiosité, vaguement perverse envers leurs maîtres, madame comme monsieur. Car c’est là, au sein du couple que tout se corse.
La jeune maîtresse de maison est enceinte de son mari, elle diffère le moment de le lui dire d’autant plus qu’elle ne désire pas voir son ventre gonfler du corps d’un futur enfant. Le mari trouve a situation formidable : sa femme va arrêter de travailler, s’occuper du bébé, etc.
Au Japon, le patriarcat a les coudées franches, même auprès d’un certain nombre de femmes. Dans l’entretien qu’elle a donné a la Maison de la culture du Japon, Yuri Yamada, fine féministe, multiplie les citations accablantes. Tel cette députée du parti au pouvoir (parti libéral démocrate) jugeant que les lesbiennes et les gays étant des personnes « non reproductives » précise « je me demande s’il faut utiliser l’argent des contribuables pour elles et pour eux ». Ou bien ce vieux membre du comité Olympique des jeux de Tokyo déplorant que « les conseils d’administration avec un grand nombre de femmes prennent beaucoup de temps ». Bref que les femmes restent à la maison, écartent les cuisses le moment venu, tombent enceintes et élèvent les mômes.
La pièce de Yuri Yamada (qu’elle met elle-même en scène ) proteste en s’en moquant sur cet état des choses. Et avec humour. Jusque dans son titre : Et pourtant j’aimerais bien te comprendre… Point central de la pièce qui la met en vrille non sans ironie : la femme enceinte sans l’avoir désiré ira jusqu’à proposer à son mari de porter l’enfant. Et ce dernier, qui n’est pas un macho, ne dit pas non.
Bel imbroglio domestique où les deux domestiques et l’amie de la maîtresse de maison (elles aux nattes retournées comme des accroche-cœurs) jouent les mouches du coche et déploient autant de figures féminines complémentaires. Tout se délite, la réalité dévisse mine de rien vers une pente à la fois onirique et régressive. Il y a longtemps que les spectacles japonais venus à la maison de la culture du Japon ont appris à nous surprendre aussi insidieusement que délicieusement. C’est une fois de plus le cas.
Maison de la culture du Japon à Paris, 20h, jusqu’au 9 novembre