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Billet de blog 5 novembre 2024

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Même en Chine, Javert se noie dans le Seine et Hugo triomphe

En Chine, Jean Bellorini a mis en scène une adaptation des « Misérables » co-signée avec Mathieu Coblentz. Après une longue tournée dans les villes chinoises, le spectacle produit par le Yang Hua Theatre, est venu deux soirs triompher au TNP de Villeurbanne.

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Illustration 1
Scène des Miserables version chinoise © Christophe Raynaud de Lage

Tempête sous un crâne, mis en scène par Jean Bellorini, était une adaptation du roman fleuve (plus de mille pages en collection Folio) de Victor Hugo Les misérables. Le spectacle, recréé au TNP et repris cette saison (lire ici) n’allait pas au bout du roman, il s’achevait avec la mort (suicide) de Javert dans la Seine, au quatrième livre de la cinquième et dernière partie du roman lequel s’achève au livre neuvième.

Pour fêter les soixante ans des relations diplomatiques et donc culturelles entre la France et la Chine, commande a été passée à Jean Bellorini et le roman de Hugo, populaire là-bas comme ici, est venu sur la table comme naturellement. Une invitation et une production du Yang Hua theatre.

Le directeur du TNP est donc allé en Chine signer avec Mathieu Coblentz une adaptation du même roman de Hugo en gardant le titre mythique, Les misérables, le texte a été traduit en chinois par Ning Chunyan. Javert se noie toujours dans la Seine mais le spectacle continue cette fois jusqu’aux ultimes pages du roman : la mort conjointe en un seul homme de Jean Valjean, l’ancien forçat et de monsieur Madeleine, l’homme respectable. A son chevet, Marius que Valjean a sauvé  de la mort, et Cosette, celle qui est devenue comme sa fille après qu’il l’ait sauvée de la misère et des griffes des Thénardier. Le vieil homme agonisant fait mention du chandelier, un chandelier qui nous ramène à un épisode fameux de la première partie des Misérables.

Dans les deux spectacles, Bellorini prend merveilleusement le parti du narratif. C’est le roman qui parle de bouche en bouche et non une adaptation dialoguée. Comme si le roman se mettait en mouvement sous nos yeux en s’incarnant dans des corps, des voix, des mouvements, comme si les spectateurs lisaient le roman de Hugo en même temps que les interprètes.

Il n’est rare qu’un même metteur en scène signe deux spectacles de suite à partir d’un même roman et encore plus rare que les spectacles ne se redoublent pas, que le premier ne refile pas ses trouvailles au second. On le doit au travail de l’adaptation, à la mise en scène toujours fluide et inventive de Bellorini, à ses collaborateurs français (scénographie de Véronique Chazal, costumes de Macha Makeïef, Bellorini signant lui-même les lumières et la composition musicale), on le doit tout autant à ses collaborateurs chinois, de son assistant Ray Zhang au producteur et initiateur du projet, Wang Keran fondateur du Yang Hua theatre.

On le doit plus encore à la richesse des écoles de théâtre en Chine -souvent mise en lumière par des metteurs sen scène français au fil des années, de Marcel Maréchal à Eric Lacascade, la liste est longue. Cependant, on n’avait jamais pu constater avec une telle acuité, la richesse de ce gigantesque vivier, mêlant individualités fortes et sens comme inné du collectif, même si ce n’est pas une troupe qui évolue devant nos yeux mais bel et bien une distribution réunissant des actrices et des acteurs venus de différents lieux et structures. En effet, le Yang Hua theatre n’est pas une troupe mais un organe de production.

Liu Ye tient magistralement le rôle aux multiples facettes et identités de Jean Valjean, c’est un acteur des plus renommés en Chine au théâtre et plus encore peut-être au cinéma, il est lui-même réalisateur. Il donne à Jean Valjean le visage d’un homme encore jeune et svelte, calme et concentré, loin des clichés d’homme épais et mal dégrossi attachés souvent au personnage. Lin Lin, Javert, est une des acteurs phares de la troupe d studio du film de Shanghai, Eric Lacascade et David Lescot l’ont déjà dirigé. Li Ling et Zhu Meng forment le couple des Thénardier, à Liu Changeuo revient le rôle de Marius et à Tao Hui ceux complémentaires de Fantine et Cosette, Shi Ke, craquante Eponine, vient du Sichuan et l'irrésistible Luo Pyongyang qui passe sans mal du Petit Gervais à Gavroche, est aussi comédienne que musicienne et chanteuse. Etc.

Tout le roman est là.Y compris les moments d’insurrection, les barricades dressées contre le pouvoir. Difficile pour le public français de ne pas songer un instant à la photo de cet homme ayant pour toute arme un sac à provisions faisant face; seul; à une enfilade de chars place Tian'anmen venus là pour mater les révoltes des étudiants. Image et événement que le pouvoir Chinois fait tout pour effacer. Mais qui reviennent comme par effraction, hanter les jours insurrectionnels du roman de Hugo

De janvier à mai 2024, le spectacle a parcouru la Chine, il a été à l’affiche du TNP de Villeurbanne les 2 et 3 nov, il sera de nouveau à l’affiche à Pékin du 8 au 10 nov, espérons qu’il revienne en France et pourquoi pas à Paris.

Au TNP, les Chinois des Misérables ont pu croiser un vieil homme russe, fatigué mais toujours alerte, Lev Dodine, venu de Saint Petersbourg diriger un stage sur La cerisaie, une pièce qu’il connaît plus que bien, l’ultime pièce de Tchekhov dont il avait naguère présenté deux versions en France (lire ici) avec sa troupe du Maly teatr d’alors. Le TNP réunissant,en son sein la Chine,la Russie et la France fut, deux soirs durant, un théâtre sans frontières, ni barrières, ni interdits.

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