
Cela aurait pu commencer comme cela, un soir, une nuit. Pauline Peyrade (autrice et responsable du département Écrivain·e·s-Dramaturges de l'ENSATT), et Emilie Capliez (codirectrice la Comédie de Colmar, Centre National Dramatique)se seraient retrouvées devant le guichet de l’Eden cinéma, celui de Colmar, celui de Lyon ou celui de Cosne-sur-Loire. Elles auraient vu un film interprété par des actrices (comme on disait autrefois dans les génériques de Jean-Luc Godard ) et réalisé par une metteure en scène, une filmeuse, une femme à films, Chantal Akerman par exemple ou Barbara Loden, ou bien Marilyn Monroe filmée par John Huston. C’est à la sortie de l’Eden que les choses se serait un peu précisées entre elles avec ces deux mots magiques : « et si... ».
Le temps a passé comme un café filtre, elles se sont vues, revues, se sont téléphonées, envoyé des mails, ont parlé de Delphine Seyrig, de Romy Schneider, d’Adèle Haenel aux Césars, de Carole Roussopoulos, de Gena Rowlands et de bien d’autres actrices et réalisatrices. Est venu le jour où Pauline a envoyé Des femmes qui nagent à Emilie, un texte fait de nombreux textes où des actrices parlent d’elles à travers des films ou pas, mais sans rôles, sans personnages, sans dialogues apparents, un texte de théâtre écrit pour des actrices de la scène et comme hanté par un rêve de cinéma.
Cela commence par un long texte titré « Séance » composé de plus ou moins courts textes et cela s’achève par un ricochet final titré « L’ouvreuse ». Le titre de l’ensemble, Des femmes qui nagent, Pauline l’avait eu très vite, avant même d’écrire les premiers mots. Alors elle a plongé.
« Séance » est une succession de descriptions (tiens, il y a le mot script dans description), de visions de films étayées de souvenirs, de souvenirs filmiques creusés par l’imagination, de script de scènes sans doute re- visionnées sur l’ordi via Cinetek, YouTube ou des DVD.
Et nous voilà, à notre tour, assis dans une salle de théâtre devant une scénographie qui figure le hall d’un cinéma « d’avant » avec ses portes battantes à hublots , son coin confiserie, ses ondulants néons (très beau travail de d’Alban Ho Van). Elles sont quatre actrices de différentes générations à s’épauler et à être le plus souvent à deux ou plus, disons ensemble sur la scène : Odja Llorca, Alma Palacios (en alternance avec Louise Chevillotte), Catherine Morlot (la plus âgée) et Léa Séry, (la plus jeune et la seule non blanche). Un parfait équilibre entre elles,leurs corps, leurs voix, leur façon de bouger, de traverser le plateau. Un choix judicieux de la metteuse en scène assortie d’une direction précise .

Des films passent à travers les quatre actrices via les mots de Pauline Peyrade. On reconnaît celui-ci avec Romy, on ignore tout de cette autre scène de film précisément décrite, on reconnaît ou croit reconnaître telle actrice, tel film, cela importe peu. On s’enfonce, on se laisse submerger, et puis, par touches de plus en plus affirmées, se multiplient ces paroles fortes et féminines de Delphine à Chantal ou Adèle. Quand on lira le texte plus tard, on constatera que chaque séquence porte un titre souvent court comme « fantôme », « couche », « rousse », « bleu roi », « video amateur », « ménopause », « Presque toute une nuit » (un magniqie générique en 77 mini-séquences), parfois un nom : « Seyrig », parfois une association de prénoms « Delphine-Jeanne ».
Fin de la « Séance ». Place à « L’ouvreuse », sa vie, son œuvre, son trône, ses clefs. Un texte beaucoup plus court, cole un épilogue. Soudain, l'ouvreuse voit telle actrice de cinéma dans la file d’attente, « je n’en avais jamais vu en vrai » dit-elle. Les actrices sont donc aussi des femmes. Sur le côté de la scène, a été projeté le générique qui clôt la « Séance » soit une bonne centaine de noms par ordre alphabétique de Chantal Akerman à Nathalie Wood. Une communauté, une famille informelle, un étendard.
« J’ai cherché à interroger ma fascination pour ces femmes, ces icônes qui ont imprimé plus ou moins consciemment ma rétine et restent collée à mon imaginaire « dit Emilie Capliez. « Je rêvais d’un texte-somme où interviendrait un nombre important de femmes, un texte qui les rendrait visibles à la hauteur de leur invisibilité » complète Pauline Peyrade. Mission doublement accomplie. C’est peu dire que les quatre actrices qui font front sur le plateau ont comblé l’attente de l’autrice et de la metteure en scène, c’est peu dire qu’elles nous comblent.
Comédie de Colmar jusqu’au 7 février. Puis tournée : au Théâtre de l’Union (Limoges) du 21 au 23 fév, du 8 au 19 mars au Théâtre Gérard Philipe de Saint-Denis, du 19 au 21 avril à la Comédie de Reims.
Le texte de «Des femmes qui nagent » est publié aux Solitaires Intempestifs, 76p, 14€. Par ailleurs Pauline Peyrade vient de publier « L’âge de détruire », un premier roman aux Editions de minuit, 158p, 16€