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Homme de théâtre à la ville comme à la scène, directeur du Festival d’Avignon autant que metteur en scène, Olivier Py a retraduit Le Roi Lear de Shakespeare pour le présenter dans le saint lieu : la Cour d’honneur du Palais des papes. Ce spectacle qu’il voulait fou n’est que bouffon.
Du bonnet au tutu
Shakespeare est toujours très à l’aise avec le tutoiement du ciel, les murs du Palais des papes, la nuit. La Cour d’honneur est son jardin. Les fous y sont toujours les bienvenus. Ce sont des personnages que Shakespeare aiment car ils ne respectent pas l’ordre établi, ont leur franc-parler, devinent l’avenir, bref : ils foutent le bordel. En traduisant la pièce assez librement, et en pensant sans doute à l’acteur qui allait interpréter le rôle (Jean-Damien Barbin), Py a donné une importance accrue à ce personnage, plus souvent en scène que Lear lui-même.
En particulier, Py écrit pour lui toute une série de couplets mis en musique (Barbin aime chanter) sur des airs du patrimoine commun à tous les Français, petits et grands (Le roi Dagobert, Au clair de la lune, Frères Jacques, A la claire fontaine, etc.), intermèdes réjouissants comme si les songs de Brecht venaient donner une aubade à Shakespeare.
Affublé d’un bonnet et bientôt d’un tutu qui lui rappelle la pauvre Cordélia tant aimée et bannie par le roi, le Fou de Barbin va ainsi traverser toute la soirée. Toute ? J’avoue ne pas pouvoir le dire car, pour des raisons de santé (ce n’est pas un langage diplomatique), j’ai dû quitter la représentation avant la fin. Mais je ne crois pas me tromper en affirmant que, de facto, le pivot du spectacle avant que la guerre ne s’invite avec son charnier, c’est lui. Avec son écho : le personnage qui, ayant vu l’horreur de la trahison, s’enfuit, perd la raison, finit pas vivre nu comme un animal sauvage dans la forêt (une armoire) et dont la route croise celle de Lear, un ami de son père. La folie est contagieuse, Lear vacille. Cette ligne dramaturgique, le spectacle la tient, mais c’est comme une corde au-dessus du vide car, à côté, ça tangue tant et plus.
Le corps agile de l’acteur Jean-Damien Barbin, son sens inné de l’amicale dérision, son goût des couvre-chefs et sa voix grave font merveille. Même si, lui aussi, gâchant notre plaisir, cède comme tous les acteurs de ce Lear (excepté Jean-Marie Winling, Gloucester, qui assure) à la maladie infantile des spectacles données dans la Cour d’honneur : le hurlement. C’est d’autant plus incompréhensible que tous les acteurs sont équipés de micros HF, le seul vêtement porté même lorsque le roi est nu. Le rôle du roi Lear est tenu par un acteur fidèle et fétiche d’Olivier Py, Philippe Girard. Lui aussi s’égosille, martèle des syllabes comme il sait le faire mais pourquoi tape-t-il du pied à tout bout de champ ? Sur le grand plancher dressé dans la Cour d’honneur, cela paraît bien petit, quelque peu ridicule. On aurait souhaité une direction d’acteurs plus soutenue, plus exigeante. Volontairement sans doute, Py leur lâche la bride. On va au plus vite, au plus simple jusqu’à trop simplifier la complexité de certains personnages (les filles de Lear, par exemple), ça vire au guignol.
Moto et scotch noir
Quel bouffon, ce Py ! C’est ce que l’on a envie de dire quand il accumule les effets à deux balles : faire arriver un personnage harnaché de cuir et la tête recouverte d’un casque pourquoi pas, mais le jucher sur une moto qui pétarade et vire précautionneusement à deux à l’heure, c’est ridicule. Faire de Cordélia une gamine à peine pubère, danseuse en tutu genre petit rat de l’opéra et, pour enfoncer le clou, coller sur sa bouche un morceau de scotch noir pour signifier son silence, c’est accablant de niaiserie et ce n’est même pas drôle. Et ainsi de suite.
Plusieurs fois, je me suis demandé pourquoi Py avait choisi cette pièce. En quoi lui importait-elle ? Je n’ai rien trouvé d’autre que le Fou. C’est un spectacle qui sait ici et là être divertissant quand il ne nous estourbit pas les oreilles, mais on ne s’y attache pas. Au final, on a l’impression d’un spectacle vaguement potache qui met une croix dans la case : « Un Shakespeare dans la cour d’honneur ». Il se peut que la dernière partie du spectacle (celle que je n’ai pas vue), après la mise à jour plus que laborieuse de la terre noire qui gît sous le plancher, avec en sous-texte, les charniers de l’Europe, soit autre chose. Vous me raconterez.
Festival d’Avignon, Cour d’honneur du Palais des papes, 22h, jusqu’au 13 juillet (sauf le 9).