Devant une sorte de radeau juché au fond de la scène où se tiennent les musiciens (Lynn Adib et Abel Kobeissy), trois femmes (Tenel Ahmad, Zena Moussa, Rania Jamal) s’avancent seules, se croisent, s’épaulent, vont, viennent, éclairées de lumières comme sorties de la nuit qui les habite. Elles viennent de loin, d’Afrique, elles reviennent de loin, d’un esclavage « moderne » , celui d’un système, le kafala, non seulement toléré mais organisé à Beyrouth.

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Comme leurs sœurs, leurs mères elles en ont été victimes. Ayant réussi à s’en sortir ou jetées à la rue, elles témoignent. Lamento des corps et des âmes à travers leur langue africaine d’origine (Cameroun, Sénégal, Éthiopie, etc) et celle de leur pays d’« accueil », le guillemets s’imposent.
A peines arrivées au Liban, la tête sans doute pleine de mirage et d’espoir (pouvoir nourrir la famille restée au pays), elles sont privées de tout. Passeport, nourriture, vie personnelle. Il leur est interdit de sortir, d’avoir des ami.e.s, des amant.e.s, quand les maîtres partent en week-end on les laisse enfermées à clé avec peu de nourriture, voire sans. Toujours maltraitées, souvent violées, parfois tuées. « Les crimes contre les travailleurs migrants font rarement l’objet d’une enquête ou d’une sanction de la part d’un juge ou du gouvernement libanais » dit le metteur en scène et chorégraphe Ali Chahrour.
A la suite des bombardements et de la guerre, nombre de familles argentés sont parties de Beyrouth pours’installer provisoirement dans des pays plus paisibles. Laissant à la rue et sans rien celles qui les servaient et dont il se servaient.Des hordes d’errantes se sont ainsi retrouvées dans les rues de Beyrouth retrouvant celles qui avant elles, s’étaient enfuies. Elles se sont regroupées, se sont entraidées autant que faire se peut, les autorités ne faisant pas grand chose pour leur porter secours. Ce sont les témoignages de trois de ces femmes entrelacés d’autres, et portés par elles-mêmes que met en scène Ali Chahrour en les présentant dans un écrin réparateur de gestes, de musique et de chants.
Le titre du spectacle vient d’un reportage vu sur une plateforme indépendante qui interrogeait un groupe de femmes agricaines abandonnées sur la corniche. L’un d’elles, venue de Sierra Léone, a dit : « C’est la première fois que je vois la mer au Liban et son horizon ».
Festival d'Avignon, la Fabrica à 13h , jusqu’au 8 juillet