Cette année-là, à Budapest, dans le cadre d’un festival, la troupe du théâtre tatar de Kazan (Russie) donnait en langue tatar Une journée en été de Jon Fosse. Et, au même festival, Alexandre Barry, en présence de Claude Régy dont il était l’assistant depuis 1995, présentait le film qu’il avait réalisé d’après le spectacle de Régy Brume de Dieu , à partir d’un texte de Targei Vesaas (prononcez Vesseusse), un écrivain norvégien qui fut comme un père pour Jon Fosse.
L’occasion était trop belle de réunir Jon Fosse et Claude Régy, de les entendre converser . Ils ne s’étaient jamais rencontrés. Au début de l’un ses livres Dans le désordre, Claude Régy écrit « Jon Fosse et moi nous communiquons par le silence ». Les textes de l’un et les spectacles de l’autre le prouvent. Mais cet après-midi à Budapest le silence a parlé.
Question. C’est le traducteur de l’écrivain norvégien Jon Fosse, Terje Sinding, qui, connaissant votre travail, vous a donné à lire le texte d’une de ses pièces Quelqu’un va venir.
Claude Régy. Je l’aie lue et immédiatement j’ai voulu monter cette œuvre, si difficile que l‘entreprise puisse se présenter. J’ai commencé avec mon ignorance mais j’en fais profession. On ne sait pas que les choses les plus importantes de notre existence et même de notre être sont du domaine de l’inconnu. J’écoute énormément. Fosse dit que quand il se met à sa table de travail il commence par écouter, il écoute ce qu’il appelle « la voix de l’écriture ». Dans cette passivité là, on écoute beaucoup l’inconscient. Il y a ces attractions fortes, les liens qu’on sent vivre et on se dit qu’il est nécessaire de s’occuper de cette œuvre-là.
Ce qui m’a attiré c’est que Fosse n’aimait pas le théâtre. Il se vante que lorsqu’il allait au théâtre il sortait toujours avant la fin. Il a reçu beaucoup de propositions de metteurs en scène d’écrire pour le théâtre. Il a très longtemps refusé. Il y a chez lui une haine du théâtre. Et quand il écrit du théâtre, son refus du théâtre ambiant, l’a conduit dans une nouvelle voie. Ce qu’il écrit n’est pas ce qu’on appelle habituellement le théâtre, c‘est d’un ordre différent. Il y a beaucoup d’inconscient, de choses non dites dans ses pièces. Fosse dit : « Il y a une connaissance qui est de l’ordre de l’indicible mais qu’il est peut-être possible d’exprimer par l’écrit ». C’est exactement ce que je pense depuis que j’ai monté L’amante anglaise de Marguerite Duras. » .
Une des grandes qualités de l’écriture de Jon Fosse c’est qu’il écrit sur plusieurs niveaux à la fois. Si l’on prend Quelqu’un va venir on peut dire que c’est l’histoire de gens, un couple, qui a décidé de quitter leur ville, leurs amis, d’acheter une maison au bord de la mer et de venir y vivre. Mais ce n’est pas si simple. Le monsieur qui vend la maison est l’héritier des anciens propriétaires et dans la maison il y a des photos de ces anciens propriétaires. Et Fosse dit que les nouveaux habitants vont coucher dans des draps qui sont là et qui sentent le pipi moisi. C’est courageux d’écrire ça.. Cela reste ambigu et il ne faut surtout pas chercher à le simplifier, à le définir d’une manière claire. C’est ce qui nous a rejoint Fosse et moi. J’ai horreur de la certitude, plus les choses sont doubles, triples, se développent à plusieurs niveaux en même temps, plus riche est la représentation, la matière de l’écriture, cette matière que les spectateurs emportent avec eux pour dormir, rêver avec, pour que l’œuvre devienne autre chose, parfois plusieurs mois, des années après. C’est sur ces bases que nous nous sommes rencontrés.
Question. Jon Fosse, vous haïssiez donc le théâtre ?
Jon Fosse. Oui et non. Au départ je n’avais aucune ambition d’écrire pour le théâtre. Je voulais être écrivain, écrire de la prose, de la poésie. Un jour on m’a demandé d’écriture une ouverture pour un spectacle de théâtre. Je vivais très pauvrement, j’ai été pratiquement obligé d’accepter. Et en écrivant je me suis rendu compte que cette ouverture contenait toute une pièce. J’ai développé cette pièce et c’est devenu Quelqu’un va venir . Cela m’a surpris moi-même de voir que j’avais quelque chose en moi qui avait à faire avec le théâtre. Cette aventure avec le théâtre fut la grande surprise de ma vie d’écrivain. Ensuite j’ai écrit trente-deux autres pièces jusqu’à Je suis le vent et mon avant dernière pièce La mer a été créée ce printemps. Et maintenant j’ai décidé d’arrêter d’écrire des pièces. Je veux passer les années qui me restent à écrire de la prose, de la prose lente. (Sourire ravi de Claude Régy).
Mes pièces ont été traduites en 45 langues, il y a eu plus de mille mises en scène. Mais pour moi la représentation de Quelqu’un va venir par Claude Régy à Nanterre fut comme une révélation. Voir que ce que j’ai écrit dans mon petit cabanon dans un fjord norvégien pouvait être compris d’une manière si profonde par une personne vivant en France dans une autre langue dans un milieu très différent, merci à vous Claude. Si je considère toutes les mises en scènes de mes pièces que j’ai pu voir, ce qui m’a frappé c’est le spectre des productions. Les metteurs en scène les plus incisifs sont ceux qui sont restés près du texte et les moins forts ceux qui ont ajouté des choses ou enlevés du texte. Mathias Hartmann du Burg Theater à Vienne est resté près du texte mais d’une façon très personnelle et très différente de la vôtre qui est proche de la mienne. La langue, le pays où l’on monte mes pièces ont relativement peu à faire avec le résultat.
Claude Régy. Jon Fosse me l’a dit, il a été surpris par mon obéissance aux didascalies. Grace à cela, entre toutes ses ambiguïtés, j’ai découvert qu’il est un peintre, un graveur. Et si l’on suit les places, les attitudes qu’il définit, on obtient vraiment la précision d’une gravure. D’autre part si on lit ses pièces on voit que cela repose énormément sur la répétitivité, les phrases sont répétées avec de légères variations et tout cela est une organisation musicale. Donc je vois un écrivain ou plutôt un poète –il n’y a pas de grande écriture qui ne soit de la poésie-, donc c’est un poète essentiellement mais aussi un amateur d’art visuel (la peinture mais aussi la sculpture), un très grand musicien, ses pièces ont une organisation véritablement symphonique. Il y cette richesse, cette pluralité-là, or les metteurs en scène croient qu’ils peuvent faire mieux que l’auteur. Je pense le contraire, je ne crois pas à la mise en scène, je pense que l’auteur est la cheville ouvrière qui a présidé à la naissance du texte et qu’il faut rester au plus proche de son instinct. Que l’instinct de l’auteur et celui du metteur peuvent se rejoindre, ça c’est un mystère.
Jon Fosse. Pour moi ce qui importe c’est être à l’écoute. Que les metteurs écoutent mon écoute. Puis les acteurs écoutent le metteur en scène et enfin le public écoute la pièce. Et puis il y a le silence qui est très important.
Claude Régy. Je suis content que vous parliez de l’importance du silence. Jean-pierre a dit au début que nous communiquons à travers le silence et c’est absolument vrai. A travers l’écriture on communique par ce qui n’est pas dit, par l’indicible. Je voudrais citer une phrase d’un auteur que Fosse a lu très jeune et qu’il admire, Georg Trakl. Un autrichien mort pendant la guerre de 14, très jeune en laissant une œuvre extraordinaire. Il disait : « Le mot dans sa paresse cherche en vain à saisir au vol l’insaisissable » et il ajoute « L’insaisissable qu’on touche dans le sombre silence aux frontières ultimes de notre esprit ». Que l’on écrive ou mette en scène, c’est un objectif que l’on peut avoir devant soi, même s’il est inatteignable.
Jon Fosse. Je suis tout à fait d’accord. En tant qu’écrivain ce que je dois faire c’est essayer de dire ce qu’on ne peut pas exprimer. Si on y parvient alors on devient poète. Dire ce que l’on peut exprimer cela n'a aucun intérêt. On doit essayer de décrire l’invisible omniprésent et l’insérer dans l’écriture. Dans le bon théâtre ce qu’e l’on ne voit pas, ce que l’on ne peut pas voir on peut presque le saisir.
Question.Cette « voix dans l’écriture » dont vous parlez et que Claude Régy a rappelé, est-ce une voix que l’écriture de pièces a épuisée ou bien va-t-elle se poursuivre autrement avec ce que vous nommez « la prose lente » ?
Jon Fosse. J’ai créé un univers dramatique. Toutes mes pièces sont interconnectées dans cet univers, et cet univers est aujourd’hui achevé, c’est un chapitre qui se referme. Ma première pièce a été mise en scène par un metteur en scène à un festival en 1994 ce même metteur en scène, vingt ans plus tard a mis en scène la dernière dans le même festival, c’est aussi quelque chose qui se clôt. J’ai envie de retourner à la prose. Je suis connu comme auteur de théâtre, mais je ne veux pas écrire du théâtre pour écrire du théâtre.
Claude Régy. Ce n’est pas grave. L’important c’est qu’il écrive. Une de mes découvertes dans ma recherche spécifique sur le théâtre, c’est qu’on peut faire du théâtre avec des textes non théâtraux. Et aujourd’hui je ne fais que ça dont ceux de Vesaas. Il n’y a pas de différence. Duras nous l’avait fait découvrir. Il n’y a pas plusieurs écritures. Peu importe la forme que cela prend. On peut faire un spectacle avec un poème, avec un extrait de roman, avec n’importe quelle prose du moment qu’elle est animée par une vie véritable et profonde, où les gens se reconnaissent et reconnaissent des choses qu’ils ignorent d’eux-mêmes. C’est cela le principal. Cette connaissance de ces choses qui sont les plus secrètes de l’être humain et sont même l’essentiel de l’être humain, ces choses pour lesquelles il n’y a pas de moyen de communication, pas de mots, pas de vocabulaire. Et la poésie permet d’atteindre cette connaissance.
Jon Fosse. Je peux vous promettre d’écrire jusqu’à ma mort, car l’écriture c’est ma façon de vivre. Quand j’écris je ne prépare rien. Rien de préalable. J’écris un début, je continue à écouter et vient le moment où le texte est là de façon plus ou moins intangible, alors, sans attendre, je dois écrire avant que cela ne disparaisse. Pour moi comme pour les lecteurs c’est un voyage dans l’inconnu. Dans Quelqu’un va venir ces personnages dans la maison, je n’en savais rien, ce n’était pas préparé . De même pour la barque dans Je suis le vent. Ce qui est fascinant dans l’écriture c’est la découverte. Découvrir quelque chose que personne d’autre n’a découvert. Et c’est fascinant de se demander d’où est-ce que cela vient.
Claude Régy. Il n’y a pas de réponse.
Jon Fosse. Ma façon d’écrire ne dépend pas du genre. Poème, pièce, prose, article même. Ce sont des variations sur le même thème.
Claude Régy. D’ailleurs tu a écrit un poème magnifique Vivre dans le secret et un article Pourquoi j’écris où tu abordes ces questions.
Jon Fosse. Je dois être très concentré pour m’élancer. Ensuite, je dois rester concentré pendant plusieurs semaines. Rester dessus du début à la fin. J’écris quelques heures par jour, je n’écoute pas la radio, je ne regarde pas la télévision, la seule chose que je supporte c’est la famille. Quand le traduit c’est autre chose, je peux traduire deux heures par jour. A une période de la ma vie, j’ai beaucoup bu. Aujourd’hui, j’ai arrêté le temps que passais à boire je le passe aujourd’hui à lire, un autre univers s’est ouvert devant moi. Je lis un peu de tout. Ces derniers temps des auteurs que j’ai commencé à lire au début des années 80, en particulier Maître Eckhart.
Claude Régy. Il ne faut pas se laisse enfermer dans les fausses règles, les fausse lois du théâtre. Les règles sont des limitations, des interdits, des barrières. Il faut professer la désobéissance, donc ouvrir la voix à l’inconnu. Il n’y a que cela d’intéressant. Dès qu’on reste dans le connu dans l’écriture ou le théâtre, dès qu’on reconnaît ce qu’on a déjà fait ou déjà vu, il y une mort inhérence à cette répétition. Il n’y a qu’en se jetant aveuglement, silencieusement dans l’inconnu le plus absolu qu’on a une chance de découvrir quelque chose qui risque d’être d’intéressant.
Jon Fosse. Je ressens la même chose : l’important est de dire ce qui n’est pas exprimé. Il me semble qu’en Europe le théâtre est traversé par des courants. L’un de ces courants dominants est celui du théâtre du metteur en scène où le texte, l’auteur est un fond, une inspiration, un prétexte. L’essentiel c’est ce que fait le metteur en scène. On voit ainsi des réinterprétations de Shakespeare ou Sarah Kane , l’auteur disparaît, il est ravagé par le metteur en scène. C’est pourquoi Claude, je vous remercie de considérer cette place de l’auteur
Claude Régy. On voir des Hamlet d’après Shakespeare. On fait tout d’après. On ne crée pas, on ne rejoint pas ce qui a été l’essence même de la création. C’est là l’ imposture de mettre sa création de metteur en scène au premier plan. On efface la création de l’auteur par la création du metteur en scène qui n’est d’ailleurs pas une création puisqu’ils se copient les uns les autres. Ils surajoutent des projections, ils mélangent le cirque, la danse ?La vraie invention n’est pas recherchée.Ce qu’on voit maintenant c’est une salade du connu !
Jon Fosse. Je suis tout à fait d’accord. C’est une mode.
Question. Vous n’avez jamais eu la tentation de mettre en scène vos propres pièces ?
Jon Fosse. Non. On ne l’a proposé plusieurs fois. J’aime vivre de façon très isolée. La seule compagnie que je tolère c’est ma propre famille. Mettre en scène c’est être présent avec des acteurs, d’autres personnes, pour moi c’est impossible.
Question. En exergue à votre première pièce Et jamais nous ne serons séparés, vous citez Dante, un extrait de La divine comédie (L’enfer chant XXXIV) : « Je ne mourus pas et ne restais pas vivant : juge par toi-même ; si tu as fleur d’intelligence, ce que je devins, sans mort et sans vie » (traduction Jacqueline Risset). Il me semble ces mots sont comme un prélude à chacune de vos pièces et au delà.
Jon Fosse. Oui, on peut dire cela, y compris pour la prose lente que je suis en train d’écrire.
Question. Claude Régy, cette phrase vous la reprenez plusieurs fois dans vos livres et une ou deux fois vus l’associez à Sarah Kane écrivant « je ne veux pas vivre » et quelques lignes plus loin « je ne veux pas mourir ».
Claude Régy. Je me sens proche de cela, très profondément. On ne peut pas réfléchir sur la vie sans réfléchir sur la mort. La vie et la mort sont indissociables .Tout ce qui est fait au nom du bonheur, tout ce qui est fait pour isoler la vie toute seule, nous mène à des mensonges et des erreurs très graves pour les êtres humains C‘est quelque chose qui est dans l’air, cela fait partie du discours médiatique. Il est important pour moi de rétablir cet équilibre, d’être à la fois dans la vie et dans la mort, tous les poètes en ont parlé, "Le livre de la pauvreté et de la mort" de Rilke ne fait que cela. J’extrapolerai un peu en disant que c’est un très grand enrichissement de ne jamais être unilatéral, de mettre toujours en relation les contraires, que l’on croit irréconciliables alors il faut chercher et voir ce qui se passe quand on réconcilie les contraires et voir que dans ce choc entre les contraires on découvre la plupart du temps des territoires qui ne sont pas explorés
Jon Fosse. Je suis d’accord encore une fois. A un certain moment, je me suis intéressé par la pensée gnostique, la pensée dualiste qui sépare le corps et l’esprit mais cela ne marche pas. On ne peut séparer le fond et la forme, le corps et l’esprit. Je me sens plus proche de la pensée chrétienne.
Claude Régy. Fosse dit qu’il écoute avant toute chose, c’est une attitude passive et non active. Cela me fait penser au célèbre non agir du taoïsme. Et la richesse des contraires c’est absolument dans le Tao, je ne suis pas taoïste pour autant.
Jon Fosse. Les pensées mystiques de différentes religions arrivent à un point similaire qui se reflète dans l’art. Que l’on soir écrivain, mystique ou metteure en scène l’essentiel c’est de trouver sa voie et de la suivre sans dévier et à la fin on parvient à une sorte de sacré.
Claude Régy. Je ne suis pas éloigné de cela mais je tiens à faire une séparation entre la spiritualité et le religieux. Les religions se sont approprié la spiritualité et avec la prétention d’en être les seuls détenteurs. C’est complètement faux. On peut analyser les catastrophes que les religions ont déclenchées et déclenchent encore car chacune pense être la seule, à être universel ce qui débouche forcément sur des conflits. Comment trouver le moyen d’être en relation avec la vie de l’esprit sans pour autant être religieux. L’imaginaire est une manifestation de l’esprit. Tous ceux qui écrivent, tous ceux font métier d’art agissent dans ce monde de l’imaginaire. Ils sont donc dans le monde de l’esprit ils sont donc des spiritualistes. Il est important de pas basculer dans la religion parce que l’on croit à la force, à la nécessité et à la priorité de l’esprit.
Jon Fosse. Il est clair que l’art doit soutenir le spirituel. La spiritualité a pratiquement disparu de notre société en Norvège. Elle a subsisté en trace dans les œuvres d’art et les milieux religieux. Il n’y pas nécessairement une contradiction. L’art et le dogmatisme ne vont pas ensemble. Il y a énormément de théâtres dogmatiques, c’est le dogme de la société de consommation. Et je me sens plus proche du spirituel en visitant l’église orthodoxe russe d’Oslo qu’en allant voir un show musical dans cette ville. Pendant longtemps avec mon fonds protestant familial je me suis tenu éloigné de cela. En devant majeur la première chose que j’ai faite c’est de quitter l’église norvégienne.
Claude Régy. C’est étrange car je suis également d’origine protestante et la première chose que j’ai faite en devant adulte c’est de m’éloigner de toute église y compris de l’église luthérienne.
Jon Fosse. Ces derniers années je me suis approché des quatters. Ils se réunissent, se mettre en cercle et cherchent la lumière intérieure.
Claude Régy. C’est très beau.
Question. Claude Régy a écrit « comme je me suis reconnu dans Fosse, Fosse s’est reconnu dans Vesaas ». En quoi vous êtes-vous reconnu dans Vesaas ?
Jon Fosse. J’ai commencé à écrire vers l’âge de 12 ans , à 15 ou 16 j’ai écrit un roman et c’était presque comme une roman de Terjei Vesaas. Heureusement personne ne l’a lu. La voie que j’ai trouvée dans ses œuvres je la reconnais dans les miennes. Si je devais me comparer à d’autres auteurs ou ceux qui m’ont inspiré, à côté de Vesaas, il faut parler de Beckett.
Question. Ce n’est pas surprenant. En relisant Variations sur la mort, j’ai repéré deux répliques qui semblent venir, de façon sans doute inconsciente, de Beckett. La femme âgée dit « Il faut faire quelque chose » et L’homme âgé dit « Nous ne pouvons rien faire ». On dirait deux répliques échappées de En attendant Godot.
Jon Fosse. Ce n’est pas une citation. Mais quand on est écrivain cette proximité des écrivains qui importent, se retrouve. Dans ma première pièce Quelqu’un va venir je ne voulais surtout pas écrire comme Beckett. Pour moi Beckett était comme un père contre qui on essaie de se rebeller avec la volonté d’aller à l’opposé. Alors que Vesaas était comme un père avec qui je discutais chaque soir au coin du feu.
Claude Régy. Je voudrais terminer par une citation de Jon Fosse : « il faut bien être quelque part parce qu’on ne peut pas être nulle part».
Jon Fosse. Je tiens à remercier encore Claude pour tout ce qu’il a fait. Et comme c’était la première fois, et sans doute la dernière, que l’on se retrouve assis l’un à côté de l’autre, je tenais à le dire.
Propos recueillis par jpt
Les œuvres de Claude Régy sont publiées aux Éditions Les Solitaires intempestifs
Les œuvres théâtrales de Jon Fosse sont publiées à l’Arche, ses textes en prose chez Circé et Christian Bourgois