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Billet de blog 6 novembre 2016

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Entrez à tout va au cœur de Didier-Georges Gabily

Ce vendredi à Rennes, dans la salle qui porte son nom et où jouent ses amis du Radeau, puis du 12 au 14 novembre à Paris, on va vivre à tout va avec Didier-Georges Gabily, disparu il y a vingt ans. Cadavre vivant, il demeure présent auprès de ceux qui ont travaillé avec lui tandis que son œuvre théâtrale bouleverse la jeune Sarah Amrous qui la découvre.

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Illustration 1
portrait de Didier-Georges Gabily © dr

Il y a vingt ans disparaissait Didier-Georges Gabily. Il avait à peine quarante ans. Il nous a légué des tombereaux de pages (carnets, romans, pièces) pour qu’on s’en saisisse, les dévore, les déchire. L’œuvre de Gabily appartient à ceux qui s’en emparent. Pas de temple, pas de gardien. Il est mort à cœur ouvert, laissant son œuvre ouverte.

 Les acteurs du groupe T’chan’G !

Didier-Georges Gabily était et reste un jeune auteur vieux d’une mémoire de trois mille ans. Fort de mille vies. Il avait été maçon chez les Grecs où on l’a vu manier la pelle et la pioche comme personne sur un chantier à Epidaure (d’où ses mains caleuses de générosité, ses mots rugueux). On l’a retrouvé clochard et fier de l’être, tenant conciliabule dans le métro et sous les ponts de Paris. A Moscou, on l’a ramassé dans un caniveau ivre de vodka et de poésie, il sortait de chez Nadedja Mandelstam et avait dans sa poche un livre de Dostoïevski. On dit que le matin il beurrait ses tartines avec du beurre Claudel. Il aurait été montreur d’ours sur la foire du Mans, tourneur-fraiseur à Tours, copiste pour la société des auteurs du XVIIe arrondissement du théâtre français, tenancier d’un peep-show de la rue Saint-Denis, soldeur de fumigènes, expert en boue, maraudeur de cadavres. Des études savantes semblent prouver qu’il aimait les actrices et les acteurs d’un amour sans limite.

Il est parti malgré lui. Il a bien fallu vivre sans lui malgré tout. Aujourd’hui son œuvre vit sans lui, lue, entendue, et jouée parfois (Gabily est un épouvantail qui fait fuir les programmateurs) par ceux qui ne l’ont pas connu, pas vu, pas entendu. Sidérés, éblouis par son œuvre monstre.

C’est le cas de Sarah Amrous, tombée amoureuse de Didier-Georges Gabily et partie à l’assaut de Violences, sa première grande pièce, créée en septembre 1991 par son groupe, dénommé T’chang’G !, au théâtre de la Cité internationale. En un soir, on découvrait tout d’un coup ; une œuvre, un metteur en scène, une équipe soudée, des acteurs alors inconnus comme Frédérique Duchêne, Serge Tranvouez, Yann-Joël Collin, Jean-François Sivadier, Catherine Baugué...

Le monologue d’Irne

Sarah Amrous avait 7 ans en 1991. Dix ans et quelque plus tard, elle est élève au conservatoire du Ve arrondissement de Paris. Un jour, elle entend une de ses camarades dire du Gabily. Le monologue de Irne au début de « Âmes et Demeures », la deuxième partie de Violences. Écoutez :

- Irne. Est-ce que je peux commencer comme ça. Est-ce que tu vas comprendre. Quand est-ce que tu comprendras qu’il faut que j’attende ça. /Avoir la tête très vide, très pleine de toi. Trop vide, trop pleine pour autre chose que pour toi. / Est-ce que ça vaut la peine de te, essayer de te dire, à toi / comme à tous ceux qui sont morts là-bas… / Je ne sais rien de toi. Plus rien. Je n’ai jamais rien su. / J’ai vu le masque. Puis plus. Je ne l’ai plus vu. / Ce n’était pas toi. / Je ne sais-crois pas… / Mais essayer quand même de te dire comme ça, / allez ! pour la toujours toute dernière fois. / allez ! essayer de te dire : « MON AMOUR » là, en plein vent, une dernière fois. / Là, en plein souvenir du vent qu’il y avait là-bas près de notre maison d’enfance, « MON AMOUR » (...)

Sarah Amrous se souvient aujourd’hui : « Quelque chose m’a alors percutée, directement, comme si ces mots avaient été ceux que j’aurais pu écrire ou voulu écrire ou qu’ils racontaient comment ça parle en moi dedans en permanence. Je suis tombée en amour. Cette langue m’a envahie, déroutée, parlée, obsédée. »

Depuis cette langue ne la quitte plus. Elle passe différents concours, est admise à l’école du Théâtre national de Bretagne dirigée alors par Stanislas Nordey. A travers les carnets de Gabily, elle approche ce que fut le « très singulier » groupe T’chan’G !. A l’école, elle travaille avec deux de ses anciens membres, Serge Tranvouez et Yann-Joël Collin, lequel demande aux élèves filles de première année (dont elle fait partie) de faire le chœur des femmes dans son atelier autour de TDM3 (Temps du mépris 3), une des dernières pièces de Gabily. En troisième année, Stanislas Nordey propose aux élèves une carte blanche. C’est alors que Sarah Amrous franchit le pas ; mettre en scène Violences, grande pièce en deux grandes parties, le spectacle durait dans les six heures lors de la création. Le projet séduit Nordey qui lui conseille de s’en tenir à la première partie, « Corps et Tentations ». Six semaines de travail au printemps 2012 puis présentation au sein de l’école. Nordey, Vincent Dissez (autre ancien du groupe) apprécient le travail. « Cela m’a donné envie de poursuivre. »

L’ampleur de la solitude

A la sortie de l’école, Sarah Amrous réunit les cinq acteurs qui l’avaient accompagnée, elle leur dit qu’elle n’a rien, pas de coproduction, simplement mais fortement cette envie d’entrer plus avant avec eux dans ce « texte fondateur » qu’est Violences. Tous la suivent. Quatre d’entre eux vont suivre un stage à La Fonderie, au Mans. Elle va les voir, rencontre Laurence Chable et François Tanguy, leur dit son envie, son besoin de monter tout Violences. Laurence salue la folie de l’aventure. Et La Fonderie la soutient, lui offrant hébergement, lieu de répétition et une petite enveloppe pour les allers-retours entre Le Mans et Rennes. Sarah Amrous et ses acteurs répètent à La Fonderie lors de plusieurs courts séjours.

Inexpérimentée, elle fait alors l’erreur de présenter une «maquette » de son travail au JTN (Jeune Théâtre national), soit moins d’une heure, une forme impropre à l’ampleur de Gabily. C’est mal reçu. « Cette erreur nous a remis au boulot », se souvient-elle. Un jour, à La Fonderie, François Tanguy assiste au travail. « Il m’a dit: "c’est magnifique, il ne faut pas que tu lâches". » Alors, « portée par les mots de ce grand poète de la scène », elle n’a pas lâché.

Sarah Amrous se confronte alors à ce qu’elle nomme « l’ampleur de la solitude » des textes de Didier-Georges Gabily. Les portes des théâtres, scènes nationales et autres, se ferment à l’annonce du projet de sa compagnie Fièvre. Malgré les recommandations de Nordey, Tanguy, Dissez et autres. On lui dit que Gabily, c’est daté, trop difficile, trop long, que le titre Violences fait peur, surtout aujourd’hui, etc.

Ne rien lâcher

Sarah Amrous n’a pas faibli, rien lâché. Carole Lardoux qui dirige un centre culturel près de Rennes à Cessons-Sévigné a eu un coup de cœur pour l’ambitieux projet, la ville de Rennes donne un coup de main, l’école du TNB aussi et finalement « Corps et Tentations » est présenté lors d’une première étape du travail au Théâtre du Vieux Saint-Etienne à Rennes en juin 2015 avant d’être créé le 10 décembre au Pont des arts à Cessons-Sévigné.

Restait à monter la seconde partie de Violences, « Âmes et Demeures ». Carole Lardoux, Christelle Mazelle, directrice de La Paillette à Rennes, et François Verdes qui dirige le service culturel de Monfort-sur-Meu, tous bouleversés par la première partie, sont entrés dans la coproduction. C’est un début car ces structures, modestes mais courageuses, ne sont pas très argentées. La compagnie compte demander une aide à la DRAC, et il est acquis que des petites résidences de travail se tiendront à Rennes, Saint-Brieuc, Brest et Lorient. L’ensemble, qui réunit dix acteurs, les cinq du début et cinq autres anciens du conservatoire du Ve, devrait être créé à l’automne 2017. C’est fragile mais ils tiendront. Et d’autres coproducteurs viendront, espérons-le.

Que les pièces de Didier-Georges Gabily soit ainsi mordues d’amour, avec force et détermination, par les nouvelles générations, c’est la plus belle nouvelle qui pouvait arriver à ce théâtre immémorial.

Vendredi 11 novembre, 21h à Rennes, salle D-G Gabily, « hommage à Didier-Georges Gabily » dans le cadre du vingtième festival Mettre en scène (qui lui est dédié), entrée libre sur réservation.

Samedi 12, dimanche 13, lundi 14 novembre de 10h à 23h30, trois jours avec Didier-Georges Gabily (rencontres, lectures, ateliers, expositions photos, documents, films, etc.), programme détaillé sur le site du théâtre Monfort, www.lemonfort.fr, 01 56 08 33 88, entrée libre, réservation conseillée.

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