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Billet de blog 7 décembre 2022

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François Tanguy est mort

Metteur en scène et poète, rêveur et constructeur, avec Laurence Chable et une flopée de fidèles, François Tanguy menait haut la barque du Théâtre du Radeau depuis des décennies, larguant les amarres depuis son port d’attache, la Fonderie du Mans, pour des voyages insensés, inouïs, inclassables. Le théâtre pleure une immense poète et sorcier de la scène

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Illustration 1
Scène de "Par autant" © jean-pierre Estournet

On ne savait évidemment pas lorsqu’on l’ a vu au Mans en novembre que Par autan ce serait son dernier spectacle. On revoit François dans le hall de la Fonderie , solaire et un peu ailleurs comme souvent, faisant visiter la Fonderie à une personne qui y venait pour la première fois On avait titré l’article  :« Par autan : l’ insaisissable souffle du Radeau ». Voici le texte qui suivait. Le spectacle doit venir au Théâtre de Gennevilliers prochainement, prélude à une longue tournée ,malgré elle en forme d’adieu.

Tous les deux ans, le guignol remet ça. Cette fois, François Tanguy et le Théâtre du Radeau nous embarquent poussés par le grand vent de « Par autant ». Des planches aux moustaches postiches, des cadres mobiles aux robes enchiffonnées, as de la bricole recyclée, les gens du radeau font du neuf avec du vieux en grands maîtres de l’éruptif à tout va.Un voyage plus enjoué que jamais. Ô merveille !

Ils sont assis sur un banc face à l’immensité, ils se serrent, expulsent le dernier du rang, increvable gag. Ça revient, ça remet ça, glisse, pirouette. Plus tard, dans les épaisseurs de leur accoutrement, ils prendront place sur des chaises de cuisine dépareillées, entre deux planches, deux panneaux. Et ce petit paysage peint là bas au fond sera emporté dans la soudaine tourmente .

Les moustaches extravagantes des uns, les coiffes tournicotées des autres sont des nids à petits vermisseaux histoires, les cuissardes comme les rideaux et les gilets sont faits de pièces rapiécées, rafistolées. Idem les gants, les chapeaux. Les robes déploient leurs frissons comme tombées de vieilles malles au sortir de la nuit. Idem les papiers peints, idem les cadres tendus de tissus ou de voiles plus ou moins transparents, idem les tableaux de s champêtres, Item les fils et les filins où transitent des rideaux en toile à matelas, idem la viole qui joue du piano, idem l’animal empaillé que ne fait que passer .

Faut-il voir dans un semblant de table à repasser  posée sur la table au tout début un clin d’œil fraternel ? Tout passe et repasse dans les spectacles du Radeau. Les mots comme les corps dans un splendide vieillissement du même dont on ne se lassera jamais, et le bonheur de voir de nouveaux corps entrer dans la danse. Les panières immémoriales du théâtre ne chôment pas, le vent d’autan impose, par bourrasques, son tempo. Ça vrille, ça gicle, ça lutte contre le vent. Les chapeaux, les frisettes, les rideaux, les filins, les planches de bois qui inclinent les corps et les destins sont derechef à la fête. Qu’est-ce donc que cet apparent bric à brac ? Un bricolage ébouriffé me disait un jour François Tanguy.

C’est un écrin, un bac à sable, un abri pour la nuit, une dérive temporelle en barque, un carrefour où les chemins bifurquent et où les mots, comme des petites loupiotes, s’avancent en guirlande émettant des signes par intermittence.

Robert Walser, l’ami de longue date, est venu avec une musette de textes brindilles, quelques appeaux, des brandons, tel les yeux d’un homme parlant « le langage muet du désespoir » tandis que sa bouche sourit avant que la cantatrice ne« pose sa main comme une caresse sur la tête de l’enfermé». Ou bien ces mots de Robert au chevet de Kleist :« comme pressé d’annoncer un malheur, un vent de tempête fait irruption et ne trouve plus la sortie ».

Compagnon de route des jours anciens, veillant en coulisses sur le vieux temple en bois, Shakespeare, dans sa langue, fait un pas de deux et remet ça. Dostoïevski comme Kierkegaard s’accoudent au bar en ruminant. Tchekhov en bon météorologiste du monde comme il va, soulève son lorgnon : « on étouffe ici, il va sans doute y avoir de l’orage » ou plus loin toujours dans La noce ; «  donnez moi de la poésie ! Et lui, rebelle, attend l’orage comme s’il apportait la paix. Donnez-moi un orage ! ». Ça remet ça, ça glisse, De Beethoven à Gueorgui Sviridov, les musiciens ne sont pas les derniers Ça file par des chemins de fuite, des gags se souviennent du cinéma muet, un pas de danse à peine esquissé et déjà anéanti, un saga de gestes bricoles, une mémoire à vue, ouverte aux vents. Le temps est, étrangement à l’allégresse.

On retrouve Laurence Chable et Frode Bjǿrnstad (présents dans presque tous les spectacles de Tanguy), Martine Dupré, Vincent Joly et Erik Gerken (déjà dans Orphéon, Cantates, Item) et deux nouveaux venus, Samuel Boré (au piano) et Anaïs Muller ; ancienne élève de l’école du TNS. Fidèles d’entre les fidèles, François Fauvel (lumières) et Eric Goudard(son) accompagnent une fois le plus François Tanguy.

Par autan, a été créé au Théâtre des Treize vents, , le spectacle a été donne à la Fonderie du Mans jusqu’au 11ov, puis au TNB du 23 au 26 nov. Les représentations au T2G dans le cadre du Festival d’automne du 8 au 17 déc sont annulées et reporttées à des dattes ultérieures. La suite de la tournée set maintenue: au TNS du 6 au 14 janv, à l’Archipel de Perpignan les 25 et 26 janv, à la comédie de Caen, les 2 et 3 fév, au CDN de Besançon les 8 et 9 mars

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