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Olivier questionne, Laurence répond, prolonge, bifurque, revient. Elle ouvre ça et là ses carnets (ses notes de travail) écrits au fil des répétitions, déroule le riche fil de sa mémoire. Jamais on n’était entré si simplement, si intensément dans le travail de François Tanguy. A la fin, l’impalpable, l’informulable demeurent, magnifiquement cernés.
Tenter de résumer un tel livre au cœur battant serait une sottise. Contentons nous de citer deux fragments de son premier chapitre titré « Libérer de l’espace ».
« Ses paroles ne concernaient pas le seul théâtre. C’était une question de vie, vraiment, de conscience très aiguë du vivant, de la relation au vivant. C’était tour aussi impressionnant de l’écouter parler de ses lectures que du chat Pompon qui avait élu domicile autour de la Tente ( construite dans un champ à l’écart de la Fonderie du mans , lieu de répétitions et de lieu de représentations ainsi qu’abri du spectacles pour certaines tournées). Il se passionnait pour les chants d’oiseaux, il les enregistrait. Parler, dériver, je crois que c’était aussi pour lui une façon de se confronter, d’interroger la relation, dans une exigence à la fois humble et noble, terrible par son acuité. Tout pouvait devenir péripétie. Il regardait aussi beaucoup les œuvres des peintres, des photos, des films. Il nommait certains auteurs par leur prénom, Fédor, Robert,Gilles...Sans intention, il déployait une sorte d’accoutumance dans notre perception. Paradoxale. L’accoutumance à comprendre qu’il n’y avait pas, là, quelque chose à saisir en vue du passage direct au plateau, que d’autres choses étaient nécessaires, forer ailleurs, creuser plus large. Et que ces nécessités, il fallait leur donner place. Alors, le passage au plateau n’était pas pour lui dans la même urgence que la nôtre. La quête, c’était une tension, et cette tension s’articulait à d’autres par superpositions, intersections constantes de trajectoires, de couches. Nos attitudes, nos réactions étaient différentes. Bien sûr cela pouvait être très encombrant, déroutant, si tu es dans l’attente trépignante, impatiente : « Alors qu’est-ce qu’on fait ? ».Il faut effectivement accepter d’être dans une autre relation, dans un autre temps, et ce temps n’est pas celui de la « mise en scène ». »
Et plus loin : « Et toujours : « les corps ne sont pas là pour occuper l’espace mais pour libérer l’espace . (…) et cela vaut aussi pour les paroles: parler ce n’est pas prendre la place, ce n’est pas parler depuis le « je ». Depuis quelques temps (Item) : « la parole est sur l’épaule » ; et j’entendais : elle passe, c’est elle qui accompagne et non l’inverse. C’est aussi ne pas chercher à faire joli : « c’est trop beau », ce n’était pas bon signe. Ou pire encore « C’est France-Culture ». Comment faire pour que toujours quelque chose s’échappe, ne pas précéder, interpréter. Chercher l’instance, le tragique, le forain, l’abîme de ce présent-là. Il faut que ça délibère, toujours ».
« La voix sur l’épaule, dans les passés de François Tanguy », par Laurence Chable, conversations avec Olivier Neveux. Éditions théâtrales, 158p,n 20€. Item et Par autan, le deux derniers spectacles du théâtre du Radeau tournent toujours