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Billet de blog 8 juillet 2015

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Avignon : « Andreas » entre l’arbre August Strindberg et l’arbre Jonathan Châtel

« J’ai senti que tu m’appelais », dit la Dame en noir à l’Inconnu assis sur une planche en bois clair. C’est la seconde réplique d’« Andreas » d’après la première partie du « Chemin de Damas » d’August Strindberg traduite, adaptée et mise en scène par Jonathan Châtel dont on n’a pas oublié l’extraordinaire « Petit Eyolf ». C’est tout le spectacle qui nous appelle à nous asseoir à côté de lui.

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Illustration 1
© christophe Raynaud de Lage

« J’ai senti que tu m’appelais », dit la Dame en noir à l’Inconnu assis sur une planche en bois clair. C’est la seconde réplique d’Andreas d’après la première partie du Chemin de Damas d’August Strindberg traduite, adaptée et mise en scène par Jonathan Châtel dont on n’a pas oublié l’extraordinaire Petit Eyolf. C’est tout le spectacle qui nous appelle à nous asseoir à côté de lui.

La dame l’a rencontré la veille au coin d’une rue et c’est à cet endroit même qu’elle le retrouve et lui demande ce qu’il attend. En déployant de grandes jambes de marcheur, il articule : « Si je pouvais le dire. – On appelle cela le bonheur, je crois, à moins que ce ne soit la fin du malheur. » Tout est dit dès les premières lignes dont la pièce déplie les méandres. Comme une pierre jetée dans un étang dont Andreas conterait les ondes.

« Comme une obsession »

L’Inconnu est un écrivain célèbre dont le dernier livre a effrayé la chronique. Il a tout quitté, tout bazardé. Strindberg écrit cette pièce dans les marges de son Inferno, revenant au théâtre après en avoir délaissé l’écriture pendant plus de cinq ans, « dégoûté par le théâtre, son incurie, ses avanies », note Châtel qui, probablement, partage le même dégoût. C’est un voyage au bout de lui-même et de ses spectres. C’est d’un jet fiévreux que Strindberg a écrit cette première partie du Chemin de Damas. Jonathan Châtel, franco-norvégien, ne se contente pas de traduire la pièce, il s’y enfonce dans une étonnante osmose qui le conduit à baptiser l’homme à l’identité égarée du nom d’Andreas. « Un prénom qui m’est proche pour des raisons intimes, que j’ai croisé dans ma vie et dans mes lectures, il me revient comme une obsession. »

Alors la pièce se déploie autrement par un jeu de doubles qui existe dans la pièce initiale mais que Châtel radicalise, comme si le prénom si beau d’Andreas contaminait tout. En même temps que l’Inconnu cherche le salut, une épaule où s’appuyer et de quoi cicatriser la blessure béante qui  fait saigner son cœur ou encore un début compréhension, une lueur dans l’obscurité, le spectacle multiplie les glissements d’identité. Andreas est l’Inconnu mais aussi le mendiant qu’il rencontre au début et qui reviendra à la fin de la pièce pour dire l’histoire d’Andreas, cet autre lui-même.

C’est aussi le prénom de l’homme que l’Inconnu a trahi dans son enfance, et qui est le mari de la Dame en noir, dame dont la robe en cuir éclate de mille feux quand elle rencontre dans l’inconnu qu’elle appelle Andreas l’homme qu’elle cherchait depuis longtemps à travers sa multitude d’amants, l’homme dont elle serait à la fois la compagne et la mère. Et d’une façon aussi probante que vertigineuse, l’actrice Nathalie Richard interprète à la fois la mère de la dame et la Dame elle-même (Ingeborg, que l’Inconnu appelle Eve). Pierre Baux est à la fois le mari médecin de la Dame, le Mendiant et le Vieillard qui surgira plus tard. Dans un registre plus secondaire, la jeune Pauline Acquart interprète à la fois la fille du couple et une religieuse qui n’en porte pas l’habit.

 Andreas c’est moi

Thierry Raynaud est l’Inconnu, haut sur pattes comme l’est le metteur en scène, les yeux ourlés de visions que ses mots peinent à formuler. Magnificence et misère de l’écriture. L’identité se dérobe et s’affirme à la fois dans une multitude de reflets, Jonathan Châtel ayant pris soin de débarrasser la pièce de sa gangue d’époque, l’installant dans une sorte de flottement temporel et spatial dont la langue et le corps assurent l’architecture.

Le lieu du Cloître des Célestins, peut-être le plus beau, le plus inspirant, le plus magique de tous les espaces avignonnais, magnifie ce spectacle avec ses deux grands arbres qui en sont les gardiens. Une palissade en inox barre les arches du cloître, y sont ménagées des portes coulissantes par où entrent et sortent les personnages. Un espace dépourvu de profondeur, celle-ci étant l’affaire de ces êtres, de leur haute langue, comme on dit une haute mer. Pas de rivage autre que celui de l’autre qui est aussi souvent un mirage.

Ainsi va Andreas, aussi simple et mystérieux qu’un conte très ancien, aussi dense qu’un écrit d’Angèle de Foligno, aussi clair et obscur qu’un poème de Mallarmé. Le théâtre ici respire un air pur dans les lumières comme intérieures de Marie-Christine Soma et une direction d’acteurs à la fois précise et ouverte, laissant cette part d’incertitude qui fait du théâtre certains soirs un art halluciné, une bouée de sauvetage, un puits sans fond, une vis sans fin. Andreas, c’est aussi moi.   

Festival d’Avignon, Andreas d’après August Strindberg par Jonathan Châtel, 22h, Cloître des Célestins, jusqu’au 11 juillet.

Centre dramatique d’Aubervilliers du 25 sept au 15 oct ; Hippodrome de Douai du 4 au 6 nov ; Manège de Maubeuge le 10 nov ; Comédie de Caen, festival les Boréales, les 18 et 19 nov ; Espaces pluriels de Pau le 9 et 10 déc ; et début 2016 à Tours, Brive, Valenciennes, Aix-en-Provence...

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