En ce lendemain d’élections législatives qui voit s’éloigner le spectre d’un pays dirigé par un gouvernement raciste et xénophobe, célébrons Un pas de chat sauvage, une pièce écrite par Marie Ndiaye, librement inspirée par Maria Martinez, une chanteuse cubaine noire venue faire carrière à Londres et Paris après Séville au milieu du XIXe siècle. Surnommée la « Malibran noire » par Théophile Gautier et peut-être photographiée par Nadar, elle connut bientôt l’insuccès, fut sujette au racisme. Sans ressources, elle écrivit en vain aux autorités pour obtenir un peu d’aide. Dans une lettre à Apollonie Sabatier, Charles Baudelaire écrit :« saviez-vous que l'infortunée Mme Martinez traîne dans les cafés lyriques et qu'elle chantait il y a quelques jours à l'Alcazar? ». Quand et où est-elle morte ? On ne sait. Dans la misère, assurément..
La pièce Le Pas de chat sauvage de Marie Ndiaye s’inspire librement de cette histoire interprétée avec complicité et force par la cantatrice et actrice Nathalie Dessay née à Lyon et l’actrice, danseuse, chorégraphe et actrice Anne-Laure Segla née d’un père d’origine béninoise et d’une mère née à Saint Pierre et Miquelon. La pièce est orchestrée par la mise en scène de Blandine Savetier au nom on ne peut plus français, une dramaturgie de Wahhab Saab au nom pas très catholique ni très français, les deux signant ensemble l’adaptation du texte. Le tout avec un musique live explosive de Greg Duret. Le spectacle fait salle combe dans le off avignonnais.
Au début du spectacle, la narratrice, une universitaire (Nathalie Dessay) raconte qu’une certaine Marie Sachs souhaite la rencontrer afin qu’elle l’informe de ses recherches sur Maria Martinez. L’universitaire travaille sur cette artiste oubliée mais elle n’en a parlé à personne. Comment Marie Sachs le sait-elle ? Elles finissent par se rencontrer. Marie Sachs aussi, assure-t-elle, fait des recherches sur cette chanteuse et danseuse noire venue de Cuba tenter sa chance en Europe. Mais est-ce bien cela ?
La pièce avance de fausse piste en vrai piège . Est-ce bien Maria Martinez sur les photos prises par Nadar ? Ou bien une autre ? La pièce tourbillonne. Marie Sachs invite la narratrice à venir la voir chanter et danser à l’Alhambra. La voici qui entre en scène en partie dénudée « le teint sombre », la peau brillante « comme du cuir de qualité » comme Maria Martinez. Troublée, la narratrice ferme les yeux. Tout se déchaîne en elle, comme si Marie redoublait Maria sous la plume de l’autrice Marie (Ndiaye). La mise en scène multiplie ces jeux de dupes et de doubles.
Vient le moment où la narratrice (Nathalie Dessay) partage ses recherches sur Maria Martinez avec Marie Sachs (Anne-Laure Segla passant d’un rôle à l’autre). Elle lui fait part de la reconnaissance qu’elle éprouve pour ce qu’a fait Théophile Gautier pour l’artiste cubaine, Marie Ndiaye allant jusqu’à inventer un poème de ce dernier. Tandis que Maria-Marie change de tenue et se lance dans une danse endiablée, la narratrice commence son livre sur Maria Martinez par ces mots : « A la Havane, vers 1825, naquit Maria Martinez, de parents qui n’étaient pas des esclaves, bien qu’ils fussent d’origine africaine...». Et Marie Ndiaye termine Un pas de chat sauvage par ces autres mots : « On n’étreint que sa propre vision, cela ne nous réchauffe pas – c’est à couvert de sa solitude que survit le chat sauvage ».
Avignon off, Théâtre des Halles, 16h30 , jusqu »au 21 juillet
le texte est publié chez Flammarion en collaboration avec le musée d’Orsay.