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Ce n’est pas la première fois que le gouvernement Orbán, par un tour de passe-passe, veut faire passer une réforme visant à transférer la gestion des universités à des fondations à sa botte. C’est ce qui s’est passé pour l’école de théâtre de Kaposvar par exemple. Une façon pour un pouvoir de promouvoir des valeurs nationales, conservatrices, chrétiennes et d’agiter le mythe de la Grande Hongrie ce qu’il fait quotidiennement dans la presse, partout dans le pays, bien des titres ayant été rachetés par des hommes proches d’Orbán.
Dans le domaine du théâtre, le premier des hommes sur lesquels s’appuie l’homme fort de la Hongrie, c’est Attila Vidnyánszky. Ce dernier s’était fait connaître comme metteur en scène dans une petite ville hongroise de l’autre côté de la frontière ukrainienne avant de diriger le théâtre de Debrecen avec brio. C’était alors un artiste inventif, un bon chef de troupe, servant avec finesse Tchekhov, des poètes hongrois ou accompagnant la création en langue hongroise de L’Opérette imaginaire de Valère Novarina. Plusieurs de ses spectacles, avec raison, avaient été alors invités en France. Sa nomination, par le gouvernement Orbán, à la tête du Théâtre national de Budapest, vaste bâtisse le long du Danube, allait voir de paire monter son pouvoir politique et baisser son talent artistique, mettant en scène des spectacles de plus en plus boursouflés de nationalisme académique.
C’est Vidnyánszky que le gouvernement Orbán a fait nommer à la tête de la fondation devant désormais gérer et orienter l’université de théâtre et de cinéma de Budapest, la fameuse SZFE, une institution vieille de plus de cent cinquante ans et d’où sont sortis la plupart des artistes hongrois qui ont ensuite fait carrière et y sont souvent revenus comme professeurs. Les Gabor Zsámbéki, Gabor Székely, Tamas Ascher, ces grands metteurs en scène que Giorgio Strehler nous avait fait connaître sur la scène de l’Odéon lors des premières années du Théâtre de l’Europe. Par la suite, ces metteurs en scène et leurs spectacles merveilleusement interprétés ont été plusieurs fois invités en France. Citons encore l’immense cinéaste Béla Tarr qui nous avait offert une formidable rétrospective au Centre Pompidou il y a quelques années. Ce sont eux qui allaient former la génération suivante, les Árpád Schilling, les Kornél Mundruczó pour ne citer qu’eux.
Leur travail ayant été mis à mal par le pouvoir sous Orbán, Árpád Schilling et Béla Tarr vivent désormais à l’étranger. Il va sans dire qu’ils soutiennent à fond la lutte des étudiants contre la volonté de reprise en main du gouvernement. Les deux Gabor et Ascher viennent de démissionner. Comme la direction du Trafó, un lieu phare de la scène hongroise. Comme le directeur du fameux théâtre Katona József, Máté Gábor, démissionnaire de son poste. Par voie de presse, Vidnyánszky s’en est pris à des personnes aussi intègres et respectées que Gábor Székely ou le grand professeur, spécialiste de théâtre et francophone, György Karsaï. « Je ne pourrai jamais [lui] expliquer ce qu'est une nation, une patrie ou un christianisme, car il est incapable d’accepter ce que je pense. Sa pensée à cet égard est ségrégative et exclusive », a écrit Vidnyánszky à propos de Karsaï. Dans une lettre, des intellectuels chrétiens et des philosophes ont aussitôt pris la défense de l’éminent professeur. De son côté, tout en démissionnant de son poste d’enseignant, Gabor Székely a publié une lettre ouverte où il accuse Vidnyánszky d’être un irresponsable et de vouloir tout détruire.
Les étudiants, eux, ne démissionnent pas : ils luttent, ils résistent, ils disent non. Ce sont eux qui se sont soulevés. Leurs professeurs, tout comme le recteur de l’université, ont démissionné mais eux ont décidé d’occuper les locaux le 31 août. Soit à la veille du jour où la réforme voulue par le pouvoir qui devait installer Vidnyánszky, via une fondation, à la tête de l’université du théâtre et du cinéma. Avec sur la table une réforme retirant tous les pouvoirs (gestion, orientation, choix des professeurs) au conseil d’administration et voulant imposer un enseignement aux résonances nationalistes à l’opposé d’un enseignement qui était resté heureusement composite et cosmopolite et que Vidnyánszky qualifie d’élitiste. L’audace des étudiants a suscité une forte adhésion dans une ville qui a su manifester son opposition aux dernières élections municipales.
Dimanche dernier, sous le slogan « pays libre, université libre », les étudiants ont entraîné des milliers de Budapestois avec eux. Dix mille peut-être. Une foule énorme qui a formé une chaîne depuis la SZFE jusqu’au Parlement pour y déposer une Charte rédigée par les étudiants et demandant l’autonomie de leur université. La grande actrice Dorottya Udvaros a lu la charte à haute voix et fut la première à la passer à son voisin. De main en main, la Charte allait ainsi atteindre, trois heures plus tard, le Parlement.
Nourris par la population, soutenus par leurs professeurs, de jour comme de nuit, les étudiants occupent les locaux de la SZFE dont l’entrée a été barrée par des bandes de scotch rouge et blanc de chantier, vite devenu l’emblème de la résistance et que les manifestants dimanche portaient dans les cheveux, en guise de cravate ou de foulard.
Premier geste de reculade ou escomptant sur un essoufflement du mouvement, la rentrée de la SZFE prévue le 7 septembre a été reculée d’une semaine. Et Vidnyanszky en a appelé au dialogue. Les étudiants lui ont répondu qu’on ne peut dialoguer qu’à armes égales et surtout pas quand tout est décidé à l’avance. Blocage donc. Il est peu probable que le gouvernement Orban cède aux revendications et cherche des dérivatifs.
Mais quelque chose est né là. Et on ne peut pas ne pas penser aux étudiants en théâtre de Varsovie qui, dans les années communistes, avaient commencé à ébranler l’édifice. Même si l’Histoire n’a pas pour habitude de repasser les plats, on se plaît à rêver que... D’autres manifestations ont eu lieu en province à Pècs, Szejed, Sopron. Une solidarité internationale commence à se manifester, Peter Brook vient d’apporter son soutien aux étudiants. Parmi ces contestataires déterminés, un jeune homme, considéré par beaucoup comme l’un des meilleurs acteurs de sa génération, Attila Jr Vidnyánszky. Le fils. Tout un symbole.