La Fin du monde. C’est un mauvais titre, pas du tout vendeur par temps de déprime, même si le sous-titre « récréation » corrige le tir. Le spectacle, lui, a de l’énergie et du délire à revendre en prenant un show télévisé du futur proche comme miroir et concentré du monde, le fameux Coco Friedman show.
Enfants de la télé
Un show du futur ? Une émission conçue pour tout mélanger, niveler, aseptiser : infos et divertissements, déconnades et diatribes. Un shaker de nos cauchemars et béatitudes face au poste ou dedans. Le show time anticipe aussi nos vies en les programmant, en les formatant. Un peu Star ac’ avec candidats pleins de pétoche, un peu débat politique vociférant avec animatrice stylo en main essayant d’en placer une, un peu BFM avec reporters sur le front d’une cata planétaire à Dehli, Pékin et New York (c’est pas tous les jours la fin du monde) qui peinent à combler le vide abyssal de leur mission, un peu hystérique comme le Petit Journal de Canal qui est un jeu télévisé comme un autre. Si le spectacle va au-delà de la parodie, c’est qu’il sort des tripes d’enfants de la télé. Ils sont nés dedans au carrefour des années 90, ont grandi avec et, aujourd’hui, voient le théâtre à travers le prisme des écrans plasma, un regard acide et zappeur, lui aussi façonné par elle.
Dans ce futur porche la planète est désormais hyper-connectée même si la télé, ce vieux machin, connaît encore des pannes. Aucun ne se déplace sans sa montre qui mesure et contrôle tout, assure la ventilation du cœur, des organes, la surveillance des neurones. Ce qui n’empêche pas la maladie, ni la révolte, ni le trac à l’heure de passer au Coco show. La fin du monde viendra comme une cerise sur le gâteau, il y aura un brin de vie après l’apocalypse, une sorte de revival du vieux monde poético-ampoulé. On est ballotté à hue et à dia dans cet univers chaotique qui met en scène des personnages manipulés ou manipulateurs qu’on voit peu au théâtre, plus souvent à la télé.
Zappe, zappe, zappe
Bref : ça part dans tous les sens, ça zappe à tout va. C’est un défaut du spectacle autant qu’une de ses qualités, car cela rend la soirée imprévisible et elle l’est de plus en plus au fur et à mesure que le temps avance à toute vitesse (c’est plié en 1h30) avec un degré d’exécution hautement performatif qui connaît un pic dans une danse solo de la candidate future vedette, interprétée par l’étonnante et véloce Laureline Le Bris-Cep.
Cette création collective fruit d’impros a été mise en ordre, en mots et en scène par Léa Perret qui interprète avec brio la meneuse de jeu. Dans la note d’intention au ton collectif, on cite Deleuze et Foucault mais on dit aussi avoir rêvé enfant de Britney Spears et de Daniel Radcliffe et on se présente comme des « petits Poucet de Michel Serres » dont les « récits bibliques » sont des séries télévisées comme Game of Thrones. Leur spectacle, ils le voient comme : « le vomi colérique de tout ce qu’[ils ont] mangé, bu, vu et lu ». Il y a de ça. Un joyeux brouillon. A suivre.
Théâtre de la Loge, 21h, jusqu’au 9 octobre puis le 20 novembre à Pontarlier dans le cadre du festival Paroles en marge.