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« Quel plaisir de voit un auteur rencontrer son metteur en scène et réciproquement » écrivais-je en novembre 2009 à propos du spectacle Chto, une trilogie, réunissant les trois premiers textes de Sonia Chiambretto portés à la scène par Hubert Colas. Seize ans plus tard, on les retrouve ensemble avec le même bonheur, elle comme autrice de Gratte-ciel et lui comme metteur en scène d’une libre adaptation de ce texte sous le titre Superstructure, par ailleurs titre initial de Gratte-ciel . Encore une fois des histoires d’identités malmenées.
Lors de la parution de Gratte-Ciel à l’Arche il y a cinq ans, Antoine Perraud de Médiapart avait mené un entretien avec Sonia Chiambretto où elle évoquait son rapport avec l’Algérie : « J’avais un père algérien. Mais il ne m’a pas élevée. Nous nous sommes rencontrés peut-être cinq fois, très fortes, aux cours desquelles il m’a transmis quelque chose du combat et de la réalité de son pays. Il ne m’a pas rendue algérienne mais il m’a relié à ce pays (…). Il était d’une famille de combattants, de moudjahidins, pauvres mais intellectuels. Son frère aîné est mort dans la montagne comme évoqué dans Gratte-ciel qui n’est pourtant pas un texte autobiographique. J’ai plutôt cherché à ancrer dans la réalité mes fantasmes chaotiques ».
Elle est aussi allée interroger ses cousines qui lui ont raconté « leur quotidien en pleine guerre civile algérienne » et c’est « à partir de leur récit » que Sonia Chiambretto a construit le sien en ayant « sans cesse l’impression de traverser un champ de mines ». Une image qui n’est pas sans écho avec le travail scénographique mené par Hubert Colas pour ce spectacle où devant un fond où sont projetées divers vues d’immeubles à Alger, s’étend un plateau sombre aux reliefs et recoins inquiétants.
Tout se mêle, tout cohabite : la guerre d’indépendance, puis la décennie noire (1001-2002) sur fond de mer et de cité radieuse à Alger imaginée par le Corbusier et jamais réalisée, une superstructure fantasmée. Et c’est d’autant plus entrelacé que Hubert Colas a un grand-père algérien , et une partie de sa famille qu’il ne connaît pas, vit encore en Algérie.
Il y a dans le livre et dans le spectacle la longue et très belle litanie des poètes, artistes et chanteurs et musiciens assassinés en Algérie pedant la décennie noire :« On a pleuré quand Tahar Djaout, écrivain, poète, journaliste, a été assassiné. On a pleuré. On a pleuré quand Ahmed Asselah, directeur de l’école des Beaux-Arts d’Alger, et son fils, Rabah Asselah ont été assassinés. On a pleuré quand le dramaturge Abdelkader Alloula a été assassiné. On a pleuré. On a pleuré quand le chanteur de Raï sentimental Cheb Hasni a été assassiné,... ».
A cela succède la complainte d’Okacha, le bras gauche en écharpe : « je suis depuis 1962 que les traces de Abdelmadjid mon frère aîné et aussi camarade parce que j’ai milité avec lui. Cette photo a été prise dans le maquis, en 1956, quelques jours avant qu’il ne disparaisse dans la vallée infernale ». Suivront les propos de sa nièce Fella et ses posts sur les réseaux sociaux. Ce premier et long chapitre du livre qui se clôt par cette citation de Franz Fanon (qui n’est pas dans le spectacle): « la première chose que l‘indigène apprend, c’est à rester à sa place, à ne pas dépasser les limites, c’est pourquoi les rêves de l’indigène sont des rêves musculaire, des rêves d’action, des rêves agressifs ».
D’autres moment du livre et du spectacle nous montrent des soldats de l’armée française obligeant des prisonniers algériens à hurler « vive la France » et « Vive l’Algérie française ». Certains soldats s’offusquent, protestent, arrivés à Paris on leur retirera leurs papiers militaires. Ou bien ces soldats français tués par balles une embuscade. Les maquisards disparaissent dans la montagne. Un journaliste français viendra prendre des photos des corps et son journal titrera en première page : « affreusement torturés ». Le spectacle avance ainsi comme un album dont on tourne les pages et où, soudain, une lettre manuscrite apparaît entre deux pages.
Hubert Colas a réuni un groupe d’actrices et d’acteurs qu’il connaît bien et qui font souvent front en commun tout en interprétant tous les rôles : Ahmed Fattat, Saïd Ghanem, Adil Mekki, Isabelle Mouchard, Perle Palombe, Nastassja Tanner et, entre autres fidélités, Manuel Vallade qui était déjà dans Chto. Beau travail de groupe bien orchestré par Hubert Colas qui comme toujours signe aussi la scénographie.
Théâtre de Nanterre-Amandiers jusqu’au 22 nov.
Le texte Gratte ciel de Sonia Chiambretto est publié à l’Arche