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Billet de blog 9 janvier 2016

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Thomas Jolly signe le point d’orgue de sa saga shakespearienne de 18h : «Richard III»

Le metteur en scène Thomas Jolly endosse le rôle-titre de « Richard III » en chef de troupe de sa compagnie la Piccola familia. Mettant ainsi un point final à sa première et passionnante immersion dans les tragédies historiques de Shakespeare.

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Illustration 1
Scène de "Richad III" n, versio Thomas Jolly © Brigitte Enguerand

Comme toutes les grandes pièces, Richard III de Shakespeare est un miroir où se reflètent le talent et la vision du metteur en scène. Et le rôle-titre impose un acteur d’envergure, complice du metteur en scène.

Un increvable chef-d’œuvre

Souvenir inoubliable, Ariel Garcia Valdès dans la mise en scène de Georges Lavaudant (1984, Cour d’honneur du Festival d’Avignon). Souvenir récent (dernier Festival d’Avignon), Lars Eidinger dans la mise en scène de Thomas Ostermeier (lire ici). Entre les deux, en 1995, la mise en scène démentielle de Matthias Langhoff avec Marcial Di Fonzo Bo dans le rôle-titre (lire ici). Sans oublier la version écrite de Carmelo Bene de la pièce sous-titrée « L’horrible nuit d’un homme de guerre » (Œuvres complètes II, éditons POL) qui inspirera à Lavaudant un autre spectacle, La Rose et la Hache, toujours avec Ariel Garcia Valdès (lire ici).

Thomas Jolly endosse le rôle-titre tout en signant la mise en scène, instaurant un double décentrement. Chef de troupe et metteur en scène, il replace ce personnage écrasant dans son univers tout en soulignant tout le côté metteur en scène de ses semblables et de lui-même qu’affectionne Richard III. Acteur de 33 ans à l’allure juvénile, Thomas Jolly fait de son personnage un individu certes « difforme », mais surtout « inachevé » et « dépêché avant terme » (comme l’écrit Shakespeare, traduction Jean-Michel Déprats, celle du spectacle). Un adulte qui joue encore aux indiens et aux cowboys mais y joue vraiment, ou qui se prend pour un coyote et le devient vraiment, aussi bourreau que victime.

Jolly fait d’abord de Richard, futur roi, le jeune rejeton d’un monde malfaisant où il a été élevé, un monde où le meurtre, la traîtrise, l’infidélité, le cynisme sont monnaie courante. On pense à ces crèches terrifiantes où les enfants de Daech sont élevés en circuit fermé, biberonnés à longueur de journées d’images de meurtres, l’égorgement étant comme banalisé.

Une scénographie et des lumières en mouvement

C’est un spectacle dévoreur que ce Richard III. Le début du spectacle (résumant à grands traits les épisodes précédents comme dans les feuilletons télés) est comme engourdi, confus, cafouilleux, on entend mal les acteurs. Le spectacle a besoin de meurtres pour se mettre en jambe, trouver son tempo. Et, comme dans Richard III on poignarde à tout va des rois, des héritiers, des cousins, des enfants, chaque mort violente (on meurt rarement dans son lit chez Shakespeare) est comme un accélérateur de particules.

La scénographie magnifiquement mouvante est aussi signée Thomas Jolly. Rien de surprenant. Elle est la partie la plus incisive de la mise en scène qui pèche par une direction d’acteurs au premier abord erratique mais qui va parfois en se bonifiant. Jolly reprend les recettes payantes de la saga d’Henri VI : les arbres généalogiques deviennent des tableaux de famille (superbe scène entre les veuves de rois). La lumière (qui fait joujou avec les plus récentes technologies), tout aussi mouvante, est également partie prenante de la mise en scène (Thomas Jolly la signe avec François Maillot et Antoine Travert), au point d’en faire un personnage de plus en plus présent, un œil inquisiteur lançant ses flèches lumineuses jusqu’à former une cage de faisceaux où isoler le roi en perdition tutoyant les spectres.    

Contrairement à Ostermeier, Thomas Jolly, à l’appétit d’ogre, embrasse toute la pièce (il adapte ici et là mais coupe peu). Il cherche à retrouver par tous les pores de sa peau scénique le mouvement même de l’écriture shakespearienne en rythmant le scénario fou de cette tragédie gore. Il maîtrise vertigineusement l’espace, la lumière, le son (Clément Mirguet), il est un bestial Richard qui nous apparaît en oiseau rapace à la patte raide, il lui reste à serrer de plus près sa direction d’acteurs.

Théâtre de l’Odéon, 19h30, sauf lundi, dimanche à 15h (le spectacle dure quatre heures, 20 minutes de moins que lors de sa création sur le grand plateau du Théâtre National de Bretagne à Rennes), jusqu’au 13 février.

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