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Parlons mécanique. Les pièces de Georges Feydeau, surtout les dernières, plus courtes, sont pourvues d’un moteur hautement performant. On démarre en mettant le starter mais il faut très vite le repousser car ça chauffe vite. Lancé à pleine vitesse, le moteur continue son accélération jusqu’à son terme, le brusque dénouement d’un freinage sur les chapeaux de roues : le baisser de rideau.
L’ingénieur ingénieux
Georges Lavaudant est un vieil ingénieur du théâtre doublé d’un mécano, il n’a jamais rechigné à mettre les mains dans le cambouis d’un moteur. Il sait parfaitement soulever les capots des classiques, les récurer au karcher et en changer les bougies, il sait astiquer les carrosseries des littératures contemporaines, il lui est arrivé de prendre lui-même le volant pour un rallye à Veracruz, à l’heure de livrer une nouvelle voiture il sait s’entourer de pilotes exceptionnels comme Ariel Garcia Valdes, ce vieux compagnon de route que l’on salue au passage, ou Gilles Arbona, ouvrier hautement qualifié qui faisait partie de l’équipe du garage grenoblois des débuts avant d’accompagner les années fastes de « Jo» Lavaudant. On retrouve Arbona dans le nouveau modèle qui vient tout juste de sortir des ateliers : Hôtel Feydeau.
Le titre du spectacle est un clin d’œil. Il fait référence à l’hôtel Terminus près de la gare Saint-Lazare, où Georges Feydeau s’installe en 1909, après avoir quitté son épouse (le divorce se fera à ses torts). Il va y séjourner une dizaine d’années. En 1919, les conséquences de la syphilis agaceront son cerveau au point de le voir être interné dans une maison de santé à Rueil-Malmaison jusqu’à sa mort en 1921, à l’aube de ses soixante ans.
C’est à l’hôtel Terminus que Georges Feydeau écrit successivement On purge bébé, Cent millions qui tombent (pièce restée inachevée mais en partie répétée), Mais n’te promène donc pas toute nue, Léonie est en avance. Ces pièces traversent Hôtel Feydeau, ainsi que Feu la mère de madame écrite juste avant son installation au Terminus. Des pièces en un acte, sauf l’inachevée (qui aurait constitué sa dernière pièce en trois actes). Feydeau termine en beauté par des pièces effilées, sans un mot de trop, écrites au sprint, comme un champion du 800 ou 1500 mètres qui finirait sa carrière en devenant champion du 100 mètres. Ce qui est invraisemblable en athlétisme est envisageable au théâtre, monde où tout est envisageable (on va le voir), même de courir le Hamlet en 45 minutes comme je l’ai vu faire naguère par une troupe de marionnettistes venues de je ne sais où.
Des couples interchangeables
D’un Georges l’autre, revenons à l’ingénieux et ingénieur Lavaudant. Comme d’autres, il a été séduit par cette dramaturgie de l’écrivain enfermé dans sa chambre d’hôtel et qui soulage ou venge sa mauvaise conscience et la rage afférentes à ses histoires domestiques en écrivant des pièces aussi courtes qu’échevelées où les femmes ont le beau rôle et où les hommes font preuve de lâcheté. Avant lui, pour nous en tenir à une période récente, ces pièces en un acte ont été montées lors d’une même soirée par Didier Bezace sous le titre Feydeau terminus en 2001 alors qu’il dirigeait le Théâtre de la Commune d’Aubervilliers, puis par Alain Françon sous le titre Du mariage au divorce (souhaité par l’auteur) en 2010 au Théâtre national de Strasbourg puis au Théâtre Marigny alors dirigé par Pierre Lescure (lire ici).
L’ingénieur Lavaudant, en mécanicien curieux, a voulu essayer autre chose. Ne plus monter les pièces les unes à la suite des autres, mais les mixer ensemble en coupant des scènes. Cela devrait tenir et donner quelque chose de savoureux, s’est-il dit (j’imagine), puisque toutes ces pièces sont centrées sur des histoires de couples passablement interchangeables. L’homme y est toujours plus ou moins poltron, emprunté ou dépassé par les événements, plongé dans des situations invraisemblables, il est ratatiné par le ridicule. La femme, plutôt effrontée ou sarcastique, ne se fait plus d’illusion sur l’amour, la fidélité, mais songe à préserver son bien-être et celui de son enfant quand elle en a un. Cela vaut le coup de tenter l’aventure, a conclu l’ingénieux Jo. Sauf que c’est raté. Car un moteur dont on maltraite les pièces a des ratés.
Certes il y a des moments désopilants comme disent les colonnes Morris, certes on ne se lasse pas de voir la subtilité d’acteurs qui vous ensorcellent de plaisir comme André Marcon et Manuel Le Lièvre, certes on est content de retrouver Gilles Arbona, certes on prend plaisir à voir des jeunes actrices jubiler en scène telles Grace Seri, Lou Chauvain ou Tatiana Spinakova mais, à chaque fois, le soufflé de notre plaisir retombe vite dans l’ornière d’un intermède bien fait (même si par trop sous-pinabauschien) qui casse l’ambiance, coupe les jarrets de la pièce en cours. On passe à une autre pièce, on revient, on repart, etc. Ce saucissonnage tue l’élan propre à chaque pièce. L’ingénieur Lavaudant sait pourtant que l’on ne retire pas impunément des bougies à un moteur. Au lieu d’être propulsées par une vitesse toujours croissante comme c’est la règle des voitures de courses Feydeau derniers modèles, voici que le moteur des pièces tousse et que le spectacle cale.
Théâtre de l’Odéon, jusqu’au 12 février ;
La Comète, Châlons-en-Champagne, les 27 et 28 février ;
Théâtre de l’Archipel, Perpignan, du 5 au 7 octobre.