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Billet de blog 9 mars 2016

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Henri Michaux : non c’est non et encore non !

Sous le titre « Donc c’est non », Jean-Luc Outers, qui n’a pas connu l’auteur mais ne peut vivre sans son œuvre, a eu la bonne idée de réunir une centaine de lettres de refus de Michaux. L’écrivain incorruptible et inflexible a dit non à tout. Même à la Pléiade.

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Il est réjouissant en ce jour de protestation citoyenne de recommander la lecture de ce livre qui dit non. Mais ne cherchez pas le nom d’Henri Michaux au bas d’une vieille pétition, il n’en a signé aucune. Pas plus que de manifeste. « Je signe mes écrits. Je ne peux signer ce que d’autres ont rédigé. Je ne peux rédiger des écrits que d’autres avec moi signeraient », écrit-il sur un feuillet manuscrit. Ni embrigadement, ni carcan.

« Je m’y oppose ici catégoriquement »

« Je déchirais les lettres autrefois et pensais innocemment que les autres en faisaient autant », écrit-il à Jacques Ruffié qui demande à consulter quatre de ses lettres adressées à Marcel Jouhandeau et échouées dans les fonds de la Bibliothèque Doucet. C’est non, pas de consultation. Michaux a brûlé nombre de ses papiers mais il n’a pas pu déchirer ni brûler les lettres qu’il a envoyées. Un des bons connaisseurs de l’auteur en a déniché une centaine.

Gaston Gallimard lui propose de réunir en un volume des textes dispersés dans des plaquettes plus ou moins confidentielles ? C’est non. On lui demande un article pour un journal, un poème pour une revue ou de participer à une « conférence-débat » ? Non et encore non. Il dit avoir en horreur le mot « Conférences ». Il apprend que l’on veut lire quelques-uns de ses textes dans un cabaret ? « Je m’oppose catégoriquement à ces exhibitions. » On veut mettre en scène ses poèmes ? « Le bruit, les cris, les scènes, l’en dehors, tout cela est à côté et ne leur convient pas. »

En 1963, des éditeurs veulent rééditer son premier livre, Le Rêve et la Jambe, depuis longtemps introuvable ? Non ! Il juge au demeurant le texte « insuffisant ». Dès 1942, il écrivait à son éditeur Gaston Gallimard : « Je ne désire aucunement la réédition de textes, de plaquettes ou de livres de moi, et même je m’y oppose ici catégoriquement. »

«

Je ne parle jamais au micro.

»

On le sollicite pour figurer dans une « anthologie de poésie française contemporaine » ?  Pas question.« Je ne fais pas de poème au vrai sens du mot et ne dois pas être tenu pour un poète d’anthologie. » Robert Bréchon lui demande encore une fois de parler à la radio ? « Non ! Et Non ! Et Non ». Catégorique : « Je ne parle jamais au micro. » Et encore moins à la télévision. A un professeur d’Orléans qui écrit une thèse portant en partie sur « L’image du corps dans l’œuvre d’Henri Michaux » et lui demande d’annoter son travail de remarques en marge, il dit n’en vouloir rien faire. Et se justifie : « Je reste un mauvais lecteur de ce qui s’écrit sur moi. » La revue Obliques veut lui consacrer un numéro ? Non. Il déteste« la masse des commentaires ».

René Tavernier qui dirige à Lyon la revue Confluences le sollicite. Michaux lui répond le 17 janvier 1944 : « Ne comptez pas sur moi pour écrire sur la Peinture, sur la P. et la Po., non le supplice d’écrire des articles ne doit pas s’ajouter à mes autres ennuis. » Ne cherchez pas son nom parmi les lauréats de tel ou tel prix. C’est non. Refus systématique. L’information n’ayant pas franchi les Alpes, en 1982, les Italiens entendent lui décerner un prix renommé de poésie. Apprenant la nouvelle avant qu’elle ne soit officielle, il s’empresse d’éteindre ce feu : « Depuis toujours j’ai refusé les prix littéraires et cette conduite est maintenant établie, sur laquelle il convient de ne pas revenir. Dois-je me justifier par des arguments ? Je dirai en simplifiant qu’un certain type d’écrit n’est pas fait pour recevoir une récompense et qu’un certain type d’homme ne doit pas paraître sous le flash. » 

Même topo pour les photos. En 1934, un ami insiste auprès de Paulhan. Michaux répond à ce dernier qu’il se propose d’envoyer à l’ami une radioscopie de ses poumons et aussi un « agrandissement » de son nombril : « Soyez tranquille, c’est présentable, le cordon ne pend plus. On l’a coupé proprement en temps voulu. » Quelques photos finiront par circuler dans les journaux. « Que faire ? Cinquante procès ne me rendraient pas un visage inconnu. » Alors, en 1966, dans le numéro de L’Herne qui lui est consacré, il consent à la publication de quatre photos. Tout de même, Cartier-Bresson ou Gisèle Freund ont laissé de lui d’admirables et rares portraits.

Ni poche ni Pléiade

Se serait-il assagi, l’âge venu ? Non ! Pas question qu’on le publie en poche. « Il y a déjà deux mille imbéciles qui me lisent, pourquoi y en aurait-il vingt mille ? » Moins d’un an avant sa mort, Claude Gallimard (qui a pris la succession de Gaston) lui écrit le 22 décembre 1983 : « Cher Monsieur et Ami, le moment est venu de vous entretenir d’un projet qui me tient à cœur depuis longtemps… », la « Pléiade », évidemment. Non et non. « En tant que distinction, d’abord, que je préfère éviter, parce qu’elle ferait de moi définitivement un professionnel au lieu de l’amateur que je préfère être et demeurer. » Et puis chaque volume de la prestigieuse collection est assorti de notes innombrables : un « véritable dossier où l’on se trouve enfermé ». Et il ajoute : « Me libérer de quantité de pages d’autrefois, retrancher, réduire au lieu de rassembler, voilà quel serait mon idéal. » Une anti-Pléiade en quelque sorte.

Henri Michaux meurt le 19 octobre 1984. Son ayant-droit, son amie Micheline Phankim, finira par autoriser la parution de son œuvre dans la Pléiade, laquelle paraîtra en trois volumes entre 1998 et 2004. Faut-il l’en blâmer ? Nullement. Pas plus qu’il ne faut blâmer Max Brod de ne pas avoir brûlé les manuscrits de Kafka. Depuis sa disparition, plusieurs œuvres sont parues en poche (L’Imaginaire, Poésie-Gallimard) et ses livres ont fait l’objet d’adaptations théâtrales.

Dans un ultime éclat de rire, Jean-Luc Outers, qui s’est démené pour réunir cette centaine de lettres, publie une « lettre posthume » à lui adressée par Michaux le 13 janvier dernier, où l’écrivain lui conseille de renoncer à son projet de livre et de brûler toutes ces lettres. Outers n’a pas dit oui, il a préféré passer outre et publier ce savoureux Donc c’est non.        

Gallimard, 196 p., 19,50 €.

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