jean-pierre thibaudat (avatar)

jean-pierre thibaudat

journaliste, écrivain, conseiller artistique

Abonné·e de Mediapart

1368 Billets

0 Édition

Billet de blog 9 juillet 2024

jean-pierre thibaudat (avatar)

jean-pierre thibaudat

journaliste, écrivain, conseiller artistique

Abonné·e de Mediapart

Mariano Pensotti au sommet

REPRISE. Dans « Une ombre vorace », le metteur en scène argentin Mariano Pensotti raconte une double histoire : celle d’un fils partant à la recherche de son père alpiniste disparu dans l’Himalaya trente ans auparavant et celle d’un acteur, fils d’un acteur, jouant dans un film le rôle de ce fils à partir du livre écrit par ce dernier. Une très belle épopée de la filiation.

jean-pierre thibaudat (avatar)

jean-pierre thibaudat

journaliste, écrivain, conseiller artistique

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Illustration 1
Une ombre Vorace © Christophe Renaud de Lage

A la sixième représentation d’Une ombre vorace, le spectacle itinérant du festival d’Avignon s’est arrêté près de Saint-Rémy de Provence sur les hauteurs de la cité antique de Glanum. Les acteurs étaient fébriles, c’était la première fois qu’ils jouaient en plein air devant un public très proche d’eux. A la fin du spectacle, ils étaient rassurés. Ils avaient doublement su transporter les spectateurs : dans une belle histoire magnifiquement interprétée par Elios Noël et Cedric Eeckhout et, fictivement, sur les pentes de l’Annapurna, un des plus hauts sommets de l’Himalaya dont la première ascension fut réalisée en 1950 par les Français Louis Lachenal et Maurice Herzog.

Mais revenons à la fiction concoctée par l’argentin Mariano Pensotti, inconnu en France mais bien connu à Buenos-Aires où il a co-fondé le groupe Marea. C’est l’histoire de Jean Vidal, un vieux fils devenu sur le tard alpiniste comme son père. Ce dernier, trente ans auparavant, a disparu dans l’Himalaya, au cours de l’ascension de l’Annapurna (membre du club très restreint des sommets de plus de 8000 mètres), son corps n’a jamais été retrouvé. Il y a là comme un trou béant, un travail laissé en plan, une phrase inachevée. Le fils décide d’aller au bout, de mettre un point final ; d’accomplir ce que le père n’a pas pu mener à terme : aller au sommet de l’Annapurna.

La nouvelle voie que souhaitait tracer son père trente ans plus tôt n’est sans doute plus de mise, l‘Himalaya fourmille d’alpinistes venus du monde entier qui ont multiplié les voies. Qu’importe. Jean Vidal, après s’être entraîné à fond dans les Alpes, prend l’avion, arrive au Népal, gagne le site et seul, sans sherpa, sans compagnon de cordée, il entame l’escalade. Comme un deuil à rebours, un pèlerinage intérieur. Le voici sous un glacier près du sommet, la neige tombe dru, il cherche à s’ abriter, et là, soudain, miracle, comme une grotte creusée dans la roche, notée par aucune carte. Il s’y réfugie. Au fond, une forme étrange, immobile, un animal ? Il s’approche… on dirait un corps congelé...Le fils retrouve son père.

Jean Vidal raconte cette histoire dans un livre lequel est lu par un réalisateur qui voit tout de suite là le sujet d’un film formidable. Il trouve des producteurs, il lui reste à trouver un acteur. C’est là où Mariano Pensotti tend l’arc de sa dramaturgie. Michel Roux, un acteur qui végète dans une série télé où il joue un rôle de commissaire dont l’importance diminue d’épisode en épisode, mis au parfum de ce projet, se passionne pour le rôle mais ne plaît guère au réalisateur. Il s’obstine, finit par rencontrer Jean Vidal. Ce dernier est plutôt bien en chair et barbu, lui havre et maigrelet. Vidal est circonspect. Mais, comme ce dernier, Michel est un obstiné. Il finit par avoir le rôle.

Alors le spectacle prend corps en trouvant sa ligne de tension : d’un coté Jean qui raconte son histoire vécue et, de l’autre, Michel jouant le rôle de Jean dans le film qui se tourne. Deux monologues qui se répondent, s’éclairent mutuellement, se complètent. Le spectacle trouve son rythme visuel via deux petits tapis roulants et autour d’une paroi mobile, efficace et astucieuse scénographie (Mariana Tirantte) qui dit la montagne, le périple et les deux faces de la pièce. Pas né de la dernière pluie, Mariano Pensotti raffine plus encore ce dispositif dramaturgique mais chut, on en a déjà trop dit.

Avec sa voix enveloppante et son physique affable, Helios Noël que l’on a vu et apprécié dans les spectacles de David Geselson et Pascal Kirsch ; est merveilleusement chez lui dans le rôle épais et inquiet de Jean. Et l’acteur belge Cédric Eeckhout, impeccable dans celui de l’angoissé maigre et bagarreur Michel. Du metteur en scène- auteur jusqu’aux acteurs, tous conduisent le spectacle au sommet avec, de plus, une vue sur le réchauffement climatique lequel pénètre jusque dans les plus hautes montagnes et fait revenir au monde des corps disparus depuis des lustres.

L’ascension du Mont Ventoux de Pétrarque, livre préféré et annoté du père disparu, s’invite en voisin dans le spectacle, avec d’autant plus d’à propos qu’il a été récemment prouvé que le poète n’avait jamais fait la dite ascension, que son récit vraisemblable n’est que pure fiction comme l’est le spectacle Une ombre vorace, un titre, lui aussi, magnifique.

Spectacle itinérant du festival d’Avignon l'an dernier, le spectacle poursuit sa tournée. Il sera  du 20 au 24 mai au Théâtre Silvia Monfort.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.