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Billet de blog 10 février 2016

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Thomas Blanchard : comment mettre en scène l’odeur du fumier ?

Au centre de la scène et d’une querelle de mitoyenneté : un tas de fumier. S’inspirant d’un épisode croustillant de l’émission de télévision Strip-tease, Thomas Blanchard adapte et signe sur le tas la mise en scène de « Fumiers ».

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Illustration 1
quelques pesronnages de "Fumiers" © Alain Monod

Que ses voisins soient là ou pas, chaque matin Nicole déverse dans la cour une brouette de fumier. Personne n’y trouve à redire autour d’elle puisque Nicole vit seule (veuve hargneuse ? Vieille bique célibataire ? On ne sait). De l’autre côté de la cour, la maison est restée vide, depuis que Liliane, la copine d’enfance de Nicole, est partie à la ville il y a bien longtemps. Mais elle est revenue, la Liliane, passer sa retraite au village au bras de Serge, son  mari, un parisien. Ils ont l’arrogance des parvenus qui ne sont pas parvenus bien haut : voiture pouët-pouët, gouttières en cuivre, lanternes éclairant la façade de la maison, mise en plis m’as-tu-vu et le mot « ploucs » à la bouche.

Bisbilles côté cour de ferme

Nicole, vissés sur son quant-à-soi, prétend que, l’usage faisant loi, la cour est à elle et qu’ils empiètent sur son territoire en y faisant « de la décoration » sans rien demander. Dispute, noms d’oiseaux. De jour en jour, le petit tas de fumier est devenu une belle motte, ce qui n’empêche pas Nicole de traiter Serge oralement de « fumier ! », ce qu’elle fait déjà avec sa brouette tous les matins lui aurait dit son psychanalyste, mais n’allez pas parler de psy à cette peste prompte à dénoncer aux gendarmes le petit-fils de sonex-copine d’enfance qui, jeune conducteur, roule sans « A ».

De l’autre côté de la cour, on n’est pas non plus dans le haut de gamme. Les procès intentés par le procédurierSerge se sont accumulés, on en est au huitième, tous perdus par Nicole, astreinte à régler 50 euros par jour tant que son tas de fumier envahit la cour mitoyenne. Elle s’y refuse. Le village est de son côté contre l’étranger (le parisien) qui emmerde le monde et a dénaturé une fille du pays en grosse bourge aux cheveux décolorés. Un comité de soutien a été créé, on va jusqu’à inaugurer avec un ruban tricolore la cour libérée.   

Rien de cela n’est inventé. On peut voir sur YouTube la version longue de cet épisode de l’émission Strip-tease, titré « Fumiers ». Comme la pièce.

Grotesque ou réalisme ?

Né à la campagne, parti à la ville faire une carrière de comédien (il est dans le film Préjudice qui vient de sortir, aux côtés de Nathalie Baye et d’Arno), Thomas Blancharda été sensible à cette histoire à la fois réelle et grotesque. Après avoir monté La Cabale des dévots de Boulgakov etadapté Jean d’Arc, livre piquant de Nathalie Quintane (deux très bons choix), il s’attaque donc à une non-pièce.

Blanchard est parti du script de l’émission, les acteurs ont improvisé, il a tout réécrit en se détachant du script. Pas suffisamment. Fumiers reste pour l’instant un spectacle paradoxalement sans odeur. Les personnages monolithiques, réduits à quelques gros traits, mériteraient d’être  creusés. La mise en scène semble vouloir opter pour le grotesque mais elle en reste à un traitement qui a encore trop les pieds dans le réalisme. Les acteurs oscillent entre ces deux options et ne semblent pas tous jouer dans la même pièce.

Le spectacle souffre sans doute d’un manque de temps de répétitions qui aurait pu faire basculer la pièce dans un débordement grotesque voire fantastique ou, à l’inverse, dans un réalisme puissant tel celui de Scènes de chasse en Bavière de Martin Sperr. On en est encore loin.On cherche la ligne dramaturgie du spectacle, aussi introuvablequ’une aiguille dans une motte de foin, laquelle motte, tenant lieu de fumier, occupe tout l’espace et le piège.

On reste frustrés comme le sont les personnages de la pièce et, sans doute, les (bons)acteurs (aux cotés de Thomas Blanchard, acteur-adaptateur-metteur en scène, ce qui est sans doute un peu trop) : Christine Pignet, Julie Pilot, Laure Calamy, Johanna Nizard, Flavien Gaudon et Olivier Martin-Salvan qui est acteur associé au Quartz de Brest où le spectacle vient d’être créé. La longue tournée qui attendFumiers devrait, espérons-le, voir le spectacle aller au bout de lui-même.

Quartz de Brest jusqu’au 13 fév, Phénix de Valenciennes les 25 et 26 fév, TNB de Rennes du 1er au 5 mars, Passerelle de Saint-Brieuc les 8 et 9 mars, Théâtre de Châtillon le 12 mars, MC de Bourges du 16 au 18 mars, Vannes le 22, Herblay le 25, Martigues le 29 mars, CND Nice les 1er et 2 avril, Fracasde Montluçon les 6 et 7 avril, Comédie de Saint Etienne du 28 au 30 avril. A la rentrée, automne 2016, au Rond-Point.

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