Elles sont quatre à entrer sur le plateau. Anna Beaupré-Moulounda, Catherine Dagenais-Savard, Emilie Monnet et Tatiana Zinga-Botao. Elles ne le quitteront plus. Elles portent d’amples vêtements, sombrement colorés le plus souvent, elles disent, elles chantent, elles clament, une à une, à deux, à trois, les quatre ensemble. Elle évoquent celle qui n’est pas là, l’absente, la morte, la disparue, la longtemps oubliée devenue inoubliable , Marguerite Duplessis.
De cette femme, on ne sait qu’une partie de sa vie, celle qui s’arrête à un procès en 1740 au Québec, procès où cette femme autochtone,vendue comme esclave mais née libre, réclame sa liberté. Elle sera déboutée. A -t-elle été embarquée comme esclave par son propriétaire en direction des plantations de la Martinique ? Probablement. On ne sait. Elle disparaît.
On ne sait ni le jour, ni le lieu où on l’aurait enterrée ou jetée dans un trou ou dans la mer . Il n’y pas de tombe à son nom nulle part, il ne reste d’elle que les traces d’un procès et son nom tracé de sa main à la plume avec application : Marguerite Duplessis.
Ce spectacle n’est pas une enquête, ni un contre procès. C’est un chant d’amour et de deuil et de larmes, un puissant oratorio. L’impossible portrait parlé-chanté d’une Antigone autochtone. Une « partition » qui soit « une façon de se réapproprier l’ Histoire » nous dit la canadienne Emilie Monnet à l’origine du projet. Elle est l’autrice du texte, elle cosigne la mise en scène avec Angélique Willkie, et est l’une des interprètes du spectacle qui avait connu une première distribution avec d’autres actrices, exceptée elle, lors de sa création à l’espace Go de Montréal, le 15 mars 2022.
Le texte -souvent psalmodié et accompagné de chants- nous entraîne d’abord dans le pays des origines où le mot mooniyaang veut dire « endroit creux », où le fleuve a pour nom Kahthio,hwa’kó:wa et où on appelle les femmes autochtones des « panisses ». Puis vient l’heure du procès après l’ arrestation de Marguerite. Et, en regard, ce moment fort, l’une des actrices, parlant dans un micro sur pied, énumère, six bonnes minutes durant, les noms de propriétaires d’esclaves extraits du Dictionnaire des esclaves et de leurs propriétaires au Canada français de Marcel Trudel. Parmi ces noms celui de Gilles Hocquart qui scellera le destin de Marie Duplessis.
Le spectacle, nullement didactique, laisse aux spectateurs le soin de faire le lien entre la disparition de Marie Duplessis, il y a presque trois siècles, et celle, contemporaine, des multiples femmes et filles autochtones au Canada, violées, assassinées, niées.
Festival d’Avignon, Marguerite : le feu écrit et mis en scène par Emilie Monnet jusqu ‘au 11 juillet à 19h au Théâtre Benoit XII.
Texte et dossier paru aux Editions Les herbes rouges