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Billet de blog 10 septembre 2021

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Le Brésil, sujet unique et multiple de Passages transfestival à Metz

Musiques, spectacles, causeries, forêt amazonienne et tribus indiennes occupent Metz, dix jours durant, le temps d’un fidèle festival... On est allé y passer une journée, on n’a pas regretté le voyage.

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Illustration 1
© neveu

18h30, le public est regroupé devant l’entrée de la basilique Saint-Pierre-aux-Nonnains au centre de Metz non loin du vieil Arsenal transformé depuis longtemps en lieu culturel et, cette année, quartier général du festival Passages. Une voix demande des « femmes féministes » un peu comme on demande un médecin lorsqu’un spectateur a un malaise. La majorité des femmes présentes se précipitent. Et entrent les premières. On en retrouvera plus tard un échantillon dans la pénombre tapant avec un marteau sur un clou ou je ne sais quoi tandis que d’autres spectateurs des deux sexes taperont sur des percussions ou agiteront des hochets de fortune. Cette séquence « participative » sera là le seul moment un peu faible d’Altamira 2042, un spectacle envoûtant conçu, interprété et orchestré par Gabriela Carneiro da Cunha qui en signe également la mise en scène avec Xingu River.

Chacun est assis par terre ou sur une chaise dans la moite et quasi noire pénombre de la basilique et suit la silhouette de Gabriela passant entre les corps. Elle revêt bientôt sa tenue de guerrière : corps nu, mince ceinture de tissu autour du ventre et tête casquée d’une boîte lumineuse semblable à celles qu’elle va disposer sur le sol parmi les spectateurs. Chaque boîte émet une brassée de sons. Pépiement d’oiseaux, feulement animalier, herbes vibrantes, arbres bruissants, caquètements d’insectes, brises de vents et d’eaux en veux-tu en voilà encore. Chaque boîte lumineuse mise en route grossit le concert entamé par les précédentes boîtes. Dans le noir, le son est roi, la forêt amazonienne nous arrive ainsi par l’oreille et les eaux de la rivière Xingu. A la fin, des sons de scies électriques et autres engins de chantier viennent inquiéter l’ambiance par le jeu répétitif de leurs impériales stridences. Sur l’un des murs de la basilique, des phrases projetées évoquent plus ou moins nettement la construction du barrage de Belo Monte dans l’état brésilien du Pará.

Illustration 2

« L’entaille béante de Belo Monte sépare deux mondes. D’un côté, le dynamisme de la septième économie mondiale, ses besoins énergétiques gigantesques, sa volonté de désenclaver ses régions les plus pauvres et d’offrir des emplois à des milliers de Brésiliens. De l’autre, la protection des Indiens menacés d’être chassés de ces terres où ils vivent depuis des temps immémoriaux et la préservation du bassin amazonien, poumon vital pour l’Amérique du Sud et la planète entière. » écrivait le Monde au moment de la construction du barrage.

Lula, dans l’opposition, était contre le barrage, arrivé au pouvoir il modifia sa position. Projetées par un casque de chevalier qui enserre le crâne de l’artiste, les images tremblent et tournoient sur les murs de la basilique, à plusieurs reprises apparaît l’explosion d’un barrage. Mirage, non beau miroir, semble dire la princesse nue aux yeux d’acier, maîtresse de ce spectacle irracontable.

Sans que cela soit dit ni même voulu, Altamira 2042 peut apparaître comme un hommage au geste de la jeune Tuira. C’était en 1989 dans une grande salle d’Altamira, on présentait le projet du barrage. Les neuf chefs indiens de Xingu, le chanteur Sting, la presse, tout le monde est là pour écouter l’envoyé du gouvernement défendre le projet. Il commence à parler. Alors une jeune Indienne se lève, nue, fait tournoyer sa machette et la colle contre la joue du représentant du gouvernement. La photo fera le tour du monde. Le projet verra en partie racornie ses visées pharaoniques. La plaie demeurera.

C’est cette entaille, cette plaie, ce lamento que Gabriela Carneiro de Cunha met en scène et met en corps. A la fois soliste et chef d’orchestre de ces instruments lumineux et sonores qui clignotent dans la nuit comme autant d’alertes.

Illustration 3
"Entremadeira" par Philippe Ribeiro © Raoul Gilibert

Comme Gabriela, Philippe Ribeiro est un artiste brésilien à tout faire. Sorti du CNAC, il est à la fois voltigeur, jongleur, équilibriste, bûcheron. Sa matière : le bois. Il le vénère autant qu’il le révèle. Il en aime les écorces, les branches, les copeaux, la sciure, les coupes, les bûches. Il aime les assembler, en faire des tas, des totems, des fagots. Et c’est ainsi qu’il nous apparaît, en porteur de bois, un fagot en équilibre sur sa tête, descendant du ciel par le toits de l’Arsenal, atterrissant via un filin sur l’esplanade ensauvagée de plantes exotiques joyeusement brésilée si l’on peut dire, on le peut car les artistes brésiliens adorent tordre les concepts, les catégories et les frontières tout en ayant un amour infini pour leurs origines, leurs racines, leurs ancêtres (lesquels ne meurent jamais). « Kaput » sera l’un des mots récurrents de Ribeiro , homme au crane luisant, au fur et à mesure que tout ce qu’il tient en mains explose tout au long d’Entremadeira (en portugais brésilien le bois se dit a madeira) véritable lettre d’amour au bois, et donc aux arbres, et donc aux forêts , celles d’Amazonie n’étant pas les dernières malgré tout ce qu’on lui fait subir Ne cherchons pas à faire entrer cet artiste comme sa consœur Gabriela dans une catégorie : il les excède toutes. Et le premier qui parle de « seul en scène » ou de « one man show » , on lui colle un bon gros coup de tronc sur le cervelet. D’ailleurs il ne l’est pas, seul, un batteur l’accompagne. A la fin des fins, Ribeiro sera l’unique artiste de la journée à évoquer après les applaudissements ce qui inquiète tous les artistes brésiliens du festival : le sale coup institutionnel que Bolsonaro est en train de fomenter.

En contrebas de l’esplanade de l’Arsenal rebaptisée Coração le temps du festival, se dresse également la modeste chapelle des Templiers. C’est là que chaque jour, deux heures durant, Ana Laura Nascimento fait salle comble. Mieux vaut s’inscrire à l’avance car le spectacle est conçu pour un unique spectateur, il ne dure que quelques minutes. Le temps de savoir qui de la femme ou du dragon aura perdu sa tête (c’est du moins l’histoire que l’on m’a racontée, mais il en est d’autres). L’artiste dirige la personne au fond de la chapelle où elle prend place sur une chaise devant une boîte grande comme une ruche. Là, par un double œilleton, un théâtre d’ombre raconte une histoire. Trois minutes plus tard, on ressort, ravi et aussi soulagé car le titre du spectacle L’Autre ou les Figures féminines de la mort nous avait fait un peu peur. En me raccompagnant, Ana Laura me parle de cette tradition en Amérique du Sud d’un théâtre de boîtes qui, à l’origine, servait de moyen d’éducation sexuelle pour les petits : on leur apprenait, figures d’ombres à l’appui, comment naissent les enfants.

Enfin le soir, ce jour-là, le périple s’achevait avec Lavagem, le nouveau spectacle de la compagnie REC dirigée par la chorégraphe Alice Ripoll. Un spectacle en tenue de bain avec un peu d’eau, beaucoup de savon et de mousse. Les danseurs et danseurs jouent avec les sens du mot lavagem allant du lavage de l’argent sale au lavage de cerveau en passant par le savonnage des idées et des corps. Le présent ludique de la chorégraphie des corps glissants et déglutissant de mousse sur fond de grande bâche bleue agitée savonne quelque peu le propos sous-jacent.

Fondé il y a vingt-cinq ans par Charles Tordjman à Nancy puis Metz, après un intermède interlope et les turbulences du confinement, Passages devenu Passages transfestival prend un nouveau départ sous la direction efficace et inventive de son nouveau directeur, Benoît Bradel.

Les spectacles évoqués ci-dessus sont pour la plupart au programme des prochains jours où l’on retrouvera également Julia de Christiane Jatahy (lire ici) dimanche prochain, le 12 septembre, dernier jour du festival qui s’était ouvert le jeudi 2 par un Flash Carnaval. A Paris, le Festival d’automne consacre un portrait conséquent à la chorégraphe brésilienne, reine des favelas, Lia Rodrigues. Dans le cadre de ce portait, Altamira 2042 sera à l’affiche du Théâtre de la Ville, espace Cardin du 15 au 19 septembre.

Cerise sur ce gâteau : le denier numéro de la revue Alternatives théâtrales est consacré aux « Scènes du Brésil », 96p., 17€. En ouverture, un article du metteur en scène et animateur Antonio Araujo suivi d’une étude portant sur son fameux spectacle BR-3 (lire ici), plus loin un entretien croisé entre Benoît Bradel et José-Manuel Gonçalvès (monsieur 104), etc. Un riche numéro, à l’image du festival.

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