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Billet de blog 10 octobre 2025

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Sublime « Séparation »

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Illustration 1
Scène de "La séparation" © Jean-Louis Fernandez

On doit à Mireille Calle-Gruber ( qui, selon la volonté de Claude Simon, dont elle fut proche et auquel elle a consacré plusieurs ouvrages, veille sur le droit moral de son œuvre) la publication de La Séparation, unique pièce de Claude Simon. Elle la fit paraître longtemps après sa création au milieu des années 60 au Théâtre de Lutèce, aux éditions du Chemin de fer. La pièce n’avait pas été publiée par les Éditions de Minuit, ce que Claude Simon regretta, de plus elle ne figure pas dans les œuvres du prix Nobel de littérature publiées en deux volumes dans la pléiade. C’est donc une pièce comme sortie de l‘oubli qu’Alain Françon met en scène aujourd’hui. Si La séparation reprend des motifs, des personnages et des phrases entière de son roman L’herbe, la pièce n’est en rien une adaptation.

L’espace unique reprend l’un des lieux du roman décrit par Simon : deux chambres contiguës dont les salles de bains se font face d’un côte et de l‘autre d’une cloison. Dispositif repris par le décorateur habituel de Françon, Jacques Gabel.

Côté gauche, la chambre de Georges (Pierre-François Garel) et Louise (Léa Drucker), un jeune couple au bord de la séparation (elle a rencontré un autre homme et songe à partir). Lui ; marqué par les horreurs de la guerre don il se remémore certaines scènes, guerre dont il est revenu exsangue et songe vaguement à redevenir paysan comme le père de son père. Elle désespérant de pouvoir aller vivre en ville comme Georges lui avait promis au moment de leur mariage.

Coté droit, la chambre des vieux parents de Georges, Sabine (Catherine Hiegel) et Pierre (Alain Libolt), Sabine noyant son refus de vieillir dans l’ alcoolisme (elle cache l’alcool dans ses flacons à parfum), Pierre énorme corps (« cent dix kilos de viande à moitié impotente vantant les beautés des langues mortes » » dit Georges) , fils de paysan devenu professeur de faculté, un retraité toujours dans les livres, se déplaçant avec difficulté et se faisant reprocher par son épouse une flopée d’infidélités. Las de ces griefs il voudrait faire chambre à part, autre séparation.

Ailleurs, dans une autre pièce de la demeure, se meurt une vieille femme que l’on ne verra jamais mais dont on parlera beaucoup. C’est Marie, celle qui, après le décès de sa sœur, était venue se réfugier chez son frère cadet Pierre au tout début de la guerre alors que les Allemands avançaient à grands pas dans l’est, prenant les derniers trains pour le sud. Le temps a passé. Elle va mourir et veut être enterrée civilement au grand dam de Sabine, issue d’une vieille famille catholique et soucieuse de convenances bourgeoises. La seule personne que Marie agonisante reconnaît, c’est Louise.

La vieille femme est comme un fantôme très présent, tour à tour Georges et Louise raconteront son arrivée en train au tout début de la guerre alors qu’ils n’en ont pas été les témoins.

C’est pas elle que commence L’herbe et c’est aussi par son évocation que commence La séparation : « Mais elle n’a rien personne, et personne ne la pleurera...personne sauf peut-être ton père un vieillard » dit Louise à Georges, lequel rétorquera plusieurs fois « elle ne t’es rien ». Effectivement, cependant Louise est la seule personne que la mourante reconnaît, c’est à elle que, dans la pièce, elle a donné ses detniers biens (des bijoux sans grande valeur, des carnets de compte tenus année après année), et c’est à Louise que la garde malade, « petite vieille contrefaite et bossue », en réfère pour tout ce qui concerne la mourante, dont, par expérience, elle va jusqu’à prédire, presque à la minute près, l’heure de sa mort qui survient à la fin de la pièce. Le peu de biens que Marie et sa sœur avaient fut vendu, l’argent donné à Georges et dilapidé dans des oiseux investissements, ainsi ces centaines de poiriers plantés dont les fruits à peines mûrs pourrissent et dont l’odeur entre par la fenêtre de la chambre, odeur et que l’on croirait presque sentir dans la salle de théâtre comme revenue d’un autre temps où se joue aujourd’hui La séparation.

Comme toujours, Alain Françon a magnifiquement composé sa distribution. Il a plusieurs fois travaillé avec Catherine Hiegel (sublime Sabine) et Pierre-François Garel ( composant un noueux et nerveux Georges à fleur de peau), il connaît la longue et belle carrière d’Alain Libolt (impressionnant Pierre dans son épaisse opacité) comme celle, tout aussi longue et belle, de Catherine Ferran ( garde malade aux allures de pythie), cependant c’est la première fois qu’il travaille avec Léa Drucker. Un choix judicieux et merveilleux. D’un côté, la Hiegel, une Sabine aux cheveux et aux vêtements emberlificotés, au visage crispé sous une épais maquillage à la voix de rocaille et à l’ivresse grandissante de scène en scène, une actrice au sommet de son art. De l’autre, Léa Drucker, formée à l’ENSATT, happée par le cinéma et de retour au théâtre comme chez elle, visage et cheveux lisses, à peine maquillée, vêtements et démarche sobres, émotion toute en retenue. Tout oppose les deux actrices (génération, choix de carrière, etc), Françon les réunit et c’est un moment de théâtre fabuleux.Vers la fin de la pièce, apprenant par la garde malade que la mort de la vieille femme est imminente, Louise fait sa valise. La vieille femme meurt. Louise va-t-elle partir, rejoindre son amant ? Va-t-elle rester ? Léa Drucker-Louise se couche sur sa valise, « le visage invisible, les épaules et le dos agités de brèves secousses » écrit Claude Simon, l’actrice et le metteur en scène nous laissent dans l’incertitude. Partira, partira pas ? Espérons que Léa Drucker, elle, reviendra au théâtre.

Théâtre des Bouffes parisiens, ,jusqu’au 4 janv, du mer au ven 20h, sam 20h30, dim 16h.

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