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Dire que le théâtre de Molière est d’abord un théâtre d’acteurs, fait pour eux et par l’un d’entre eux, c’est une évidence et une lapalissade dignes de monsieur Jourdain qui s’étonne et s’époumone et savoir faire de la prose à l’instant où il parle. Rien de plus basique donc, mais c’est dans ce retour perpétuel et jubilatoire aux sources du théâtre comique de Jean-Baptiste Poquelin dit Molière, que Jolente de Keersmaeker, Damiaan De Schrijver et les autres membres de la troupe du tg STAN ( Jan Bijvoet, Els Dottermans, Bert Haelvoet, Willy Thomas et Stijn van Opstal) trouvent leur énergie sans limite , leur inspiration jamais à court, la folie douce de leur tempo scénique , et nous offre , une fois encore, un moment de plaisir théâtral fait ce complicité, de connivence et d’une foultitude d’instants désarmant de plaisir. Ainsi s’avance Poquelin II, associant, dans l’ordre, l’Avare puis, mieux encore, le Bourgeois Gentilhomme, trois heures de théâtre immédiat où l’acteur est roi.
Le Poquelin I du tgSTAN en 2003 « était une réponse à la guerre en Irak » se souvient Damiaan. Il réunissait une montage de scène à travers Le malade imaginaire et diverses farces, le tout traduit, par leurs soins, en flamand. Le Poquelin II était déjà en gestation quand la guerre en Ukraine a commencé, et il est d’une tout autre nature puisque la troupe anversoise le créé en français pour un public francophone et donc en revenant au texte même de Molière, texte qui nous arrive donc nimbé et corsé par l’accent de ces acteurs flamands, donnant au texte de l’acteur Poquelin un surcroît de densité et de drôlerie. C’est le cas pour l’Avare et c’est encore plus le cas pour le Bourgeois Gentilhomme, les deux textes ont subi quelques coupes, mais aucun ratiboisage dommageable. Trois heures de constante jubilation.
Pour ce faire, les tg STAN retrouvent leur lieu de prédilection, leur annexe parisienne, le Théâtre de la Bastille (dont on attend toujours la nomination d’une nouvelle direction, diantre qu’attendent-ils donc ? Faut-il les traiter de « fripons ! gueux ! Traîtres! Imposteurs ! » comme le fait le maître de philosophie de monsieur Jourdain ? ), et, une fois encore, dans le cadre du Festival d’automne. Mordant sur la salle et sur la scène, un tréteau de bois, sert d’aire de jeu , les côtés et ce qui reste de la scène servent de coulisses à vue. Bref un dispositif qui anéantit la rupture scène/salle et fortifie la connivence entre les deux, ce qu’affectionne l’ADN du tg STAN.On ne célèbre pas Molière et ses quatre cents balais, on s’amuse avec Poquelin, cet acteur guidant comme personne la main de l’auteur, entre acteurs on est faits pour se comprendre à demi-mots, s’estimer, et se faire plaisir. Pas de perruques Grand Siècle (au diable la reconstitution) , pas de costumes d’aujourd’hui (au diable l’actualisation) , mais des accoutrements aussi invraisemblables que pratiques et opératoires, presque pas d’accessoires, un rideau .
« Nous cherchons la simplicité du plateau, à ne pas entrer dans la déclamation » dit Damiaan de Schrijver. « C’est une langue très physique , dans le rythme des répliques, le choix des petits mots comme des rebonds vers la phrase suivante » complète Jolente de Keersmaeker. Tout cela est parachevé par un élixir magique : leur accent, « cela crée quelque chose d’étrange et de concret » dit Damiaan. C’est le moins que l’on puisse dire ; leur accent savoureux déréalise ou décale la langue de Molière . Si bien que, même si on connaît ces pièces depuis l’école, même si on les a vues massacrées lors de « représentations scolaires » cauchemardesques, même si on les a retrouvées plus tard finement mais classiquement phrasées par de bond acteurs, on a l’impression au théâtre de la Bastille de les entendre autrement .
Théâtre de la Bastille jusqu’au 19 déc à 19h30 (sf dim 17h) , durée 3h. Relâche le dim 11, le jeudi 15.