jean-pierre thibaudat (avatar)

jean-pierre thibaudat

journaliste, écrivain, conseiller artistique

Abonné·e de Mediapart

1404 Billets

0 Édition

Billet de blog 10 décembre 2025

jean-pierre thibaudat (avatar)

jean-pierre thibaudat

journaliste, écrivain, conseiller artistique

Abonné·e de Mediapart

Jean-Louis Hourdin : l’amour de sa sœur Marianne

L’acteur et chef de troupe Jean Louis Hourdin avait une sœur Marianne, trisomique. Il a toujours voulu faire un spectacle sur elle. Elle est décédée. Peu de jours après sa disparition, le spectacle « Le malheur innocent, pour Marianne » était en gestation, le voici.

jean-pierre thibaudat (avatar)

jean-pierre thibaudat

journaliste, écrivain, conseiller artistique

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

L’ homme effilé est assis près d’une petite table ronde sur laquelle se côtoient un verre inséparable de sa carafe et un tas de feuilles que l’on devine avoir été souvent manipulées. Certaines feuilles sont dactylographiées ou imprimées, d’autres écrites au stylo m’a-t-il semblé depuis ma place, une des chaises disposées avec d’autres devant un canapé, le tout sur deux rangs dans le petit appartement parisien d’une proche. Ont été réunis là une douzaines d’amis de l’homme effilé, des connaissances de longue date, exceptés un jeune acteur et une jeune actrice conviés par la maîtresse des lieux à venir écouter le vieil acteur dont ils connaissent le nom, Jean-Louis Hourdin, et savent qu’il a été le sauveur de la maison Jacques Copeau en Bourgogne puisqu’ils feront partie des personnes qui, quelques jours plus tard, liront des textes de Jacques Copeau sur la scène du Vieux-Colombier (lire ici).

Non loin d’Hourdin, en retrait, veillant aux lumières et à la bonne marche du vidéo projecteur, son cadet, l’acteur François Chattot, lequel avait eu Hourdin comme professeur à l’école du TNS où lui-même avait été élève. Ensemble, partageant maintes convictions, ils allaient se retrouver au fil des décennies, ça et là, dans plusieurs spectacles souvent créés en commun comme l’inoubliable Veillons, et armons nous en pensée, vu naguère au théâtre de Chaillot alors voué au théâtre et dirigé par le regretté Ariel Goldenberg.

Hourdin fut aussi l’un des trois « Fédérés », les deux autres étant Olivier Perrier et Jean-Paul Wenzel. Les trois créèrent à Montluçon le Théâtre des Ilets qu’ils hissèrent au rang de centre national d’art dramatique avant de passer la main et de suivre chacun sa route après avoir signé ensemble des spectacles mémorables comme Honte à l’humanité ou Ça respire encore. La route de Jean-Louis Hourdin allait prendre lange en Bourgogne, son pays d’adoption. Où il fomente des spectacles comme, il y a quelques années, une suite solitaire à Veillons et armons nous en pensée vue au festival Avignon off (lire ici).

Mais revenons à la petite table. Hourdin ne va pas nous parler de lui, ce n’est pas dans ses habitudes, mais plutôt de ses proches, ce qu’il n’avait jamais fait, me semble-t-il.

Illustration 1
Mots de Marianne à son frère © DR

D’abord de ses parents et particulièrement de son père, Georges Montaron, un grand patron de presse. Catholique pratiquant, il fut un jeune résistant membre des Jeunes chrétiens combattants, à la Libération on le retrouve administrateur de la Sécurité sociale. C’est là que le père Chaillet fondateur de Témoignage Chrétien vient le chercher pour liquider le journal qui va mal. En fait, il est mal géré. Montaron remet les comptes en ordres, et loin de mettre fin à ce titre de presse lui donne, au fil des années, un nouvel essor et une belle ampleur. Montaron sera à l’origine d’autres titres de presse dont l’un deviendra Télérama.

Témoignage chrétien rassemble la gauche catholique autour de valeurs : pour la décolonisation en Algérie (pendant la guerre d’Algérie le journal sera saisi maintes fois) et ailleurs, contre la torture, pour la dignité des peuples palestiniens, kanak et sahraoui. Le journal publiera en une les photos chocs d’Eli Kazan lors des massacres d’Algériens par la police française en marge de la manifestation du 17 octobre 1961. L’aventure de Georges Montaron à Témoignage Chrétien durera jusqu’au milieu des années 90. Tout au long de sa vie, il entretiendra une longue amitié avec Hubert Beuve Mery, le créateur du Monde à la Libération, ils se voyaient chaque semaine tous les mardis nous confie son fils.

Le futur patron de presse avait rencontré sa future femme dans la Résistance, ils auront plusieurs enfants. L’un d’entre-eux mourra pendant la guerre dans un bombardement. Deux naîtrons juste après la guerre, Jean-Louis et sa sœur Marianne. Une sœur trisomique dont les parents s’occuperont intensément jusqu’à leur mort.

Peu de temps avant de mourir, leur père avait écrit ce poème-lettre titré C’est l’heure le 2 juillet 1990. En voici le début : « Seigneur, la mort est là,/ toute proche./Je ne suis pas rassasié d’aimer la vie/ mais c’est l’heure/A la pensée que je verrai plus/ l’aurore blanche la fenêtre/ annonçant de nouveaux matins/ je me révolte et je m’indigne./ Pourquoi m’imposer longtemps la vie/ si je ne suis pas immortel ?/ je vais découvrir qui je suis/ dans le miroir de vérité/ que sont tes yeux. (...) ».

C’est pour sa sœur décédée il y a dix-huit mois, et avec ses poèmes, que Jean-Louis Hourdin a composé son spectacle Le malheur innocent, pour Marianne. Alors, après avoir évoqué son père et sa mère, c’est autour d’elle que le spectacle se concentre, de poème en poème.

« J’étais une petite fille après la guerre/ la la la la la la la la / j’étais une petite fille après la guerre/ la la la la la la la/ je pourrais être née pendant la guerre/ j’aime pas être née maintenant/ c’est épouvantable la vie/ j’aime pas la vie/ la vie la vie la vie/ la vie je n’en veux pas/ j’ai des parents trop vieux/ dans la vie faut pas s’en faire. La vie la vie/ qui revient qui s’en va / vers la nuit/ j’étais une petite fille/ de ma mère de quarante trois ans/ et je vois la vie en face de moi/ dans ma vie/ la vie c’est bête/ la vie c’est bête/ dans la liberté/ pendant la guerre/ je vois une petite fille dans mon cœur/ elle était née après la guerre/ elle est grande/ elle joue du piano de la guitare/ et de la flûte/ elle fume le dimanche/ deux cigarettes par jour/ elle chante aussi/ dans mon cœur dans mon cœur/ trop belle pour rester seule dans la vie ».

Ou encore ce poème titré Les jours de la semaine où le futur est écrit au conditionnel :

« le lundi je volerais/ si j’avais des ailes/ le mardi je jouerais de la guitare / dans mon cœur/ le mercredi je donnerais des graines/ aux bébés poissons rouges/ le jeudi je nagerais/ avec la petite sirène/ le vendredi tu es la reine de mon cœur/ le samedi je chanterais/ et je danserais/ le dimanche je dessinerais/ un arc-en-ciel ».

Et bien d’aut@res poèmes encore.

Le spectacle "Le malheur innocent, pour Marianne" se donnera le 13 déc à 18h et le 14 déc à 15h, au 4 sentier des Jardis à Meudon, là où vivait Marianne. Il sera repris au printemps les 20 et 21 mars à 20h chez Martine Schamacher et FRançois Chattot, 122aveue de Noisy le sec à Bagnolet (93), réservations par mail au schambacherm@gmail.com

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.