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Avec ou sans toit, tous les spectacles de Nathalie Béasse tombent du ciel. On ne sait trop ce que c’est. Un oiseau échappé de son nid qui pépie? Une brique de chantier qui, au terme de sa chute, échoue miraculeusement dans une flaque d’eau laquelle éclabousse la robe à fleurs d’une passante qui, elle-même, dans un mouvement de recul, décanille le bouquet de bleuets que tient un homme cravaté qui passait par là, les deux finissant six mois plus tard, par vivre un temps ensemble avant de divorcer à l’amiable l’année suivante… des choses comme ça. C’est fou comme les spectacles de Béasse dégoupillent l’imagination du spectateur. On pourrait également se demander si son nouveau spectacle Ceux-qui-vont-contre-le-vent ne serait pas aussi le bouquet des précédents dans un nouveau paysage riche en nouvelles fleurs et tous façonneraient un nouveau pot pour étoiler l’ensemble.
Bref, on ne sait trop ce que c’est. Une pluie de vêtements que la bourrasque remporte ? Une comptine que se refilent les nuages ? Une danse des origines ? Un rite initiatique ? Tout cela et bien d’autres choses. Autrement dit un OTNI (Objet Théâtral Non Identifié) si vous avez la manie des catégories et des classements. Mais est-ce bien nécessaire ?
Personne n’a jamais fait et ne fera jamais le tour d’un spectacle de Nathalie Béasse. On ne sait par quel bout les prendre ne serait-ce parce qu’ils sont faits, de plus en plus, de petits bouts. Ils sont donc irracontables, d’ailleurs il n’y a pas de narration, pas plus que de personnages, pas de pitch pas plus que de chichis. il y a des corps en mouvement qui parfois ont quelque chose à dire, à fredonner, à tournicoter. Ça bouge tout le temps. C’est d’abord une histoire de personnes qui se retrouvent ensemble le temps d’un pique-nique de gestes, d’actions collectives (le plus souvent), de mots arrachés à quelques livres aimés sur un plateau de théâtre (Gertrud Stein, Duras, les écrits des indiens d’Amérique du nord, etc). Dit autrement, c’est un enchaînement de marabout-bout-de-ficelles (ce que suggèrent les tirets du titre), une sorte de confrérie du gigotis (inventons ce mot) en séance plénière de jour comme de nuit.
Les sept (qui ne sont pas des nains pas plus que Béasse n’est une Blanche Neige) de Ceux-qui-vont-contre-le-vent (j’ai nommé Mounira Barbouch, Estelle Delcambre, Karim Fatihi, Clément Goupille, Stéphane Imbert, Noémie Rimbert, Camille Trophème) sont souvent de fidèles acteurs des spectacles de Nathalie Béasse tout comme la musique de Julien Parsy. Le mot acteur chez elle renvoie à la personne et non à je ne sais quel personnage ou métier. Dit autrement (bis), chez Béasse il n’y a d’autres personnages que les personnes et leur richesse. Mieux vaudrait parler de magicien, de prestidigitateur, d’ouvriers spécialisés. Tous se démènent pour raconter une histoire qui ne raconte rien d’autre que ce qu’il advient d’un groupe de zigotos lâchés sur un plateau en compagnie d’une chamane en goguette venue d’Angers, avec son sourire énigmatique, son sac à visions, deux ou trois livres lus et relus, des musiques amies et dans son poudrier magique (qui est une poudrière) une curiosité insatiable du genre humain et des choses, des bricoles de la vie ordinaire. On peut aussi y voir un baromètre du temps qui passe.
Ceux-qui-vont-contre-le-vent comme le titre l’indique montre que l’homo sapiens doit se coltiner les éléments. Les sept ne tiennent pas debout mais c’est pour mieux se redresser. Ça pleut des seaux, ça glisse, ça fait des rondes, ça enferme, exclut, rassemble. Ça lutte ferme, ça chute, ça se relève. Ça remet ça.
Ceux-qui-vont-contre-le-vent a été créé en juillet 2021 au Cloître des Carmes dans le cadre du festival d’Avignon. Sa tournée commencée au Théâtre de la Bastille s'achèvera les 29 et 30 mars à la Rose des vents (Villeneuve d’Ascq). Auparavant la compagnie Béasse vient de s'installer pour dix jours au Théâtre du Maillon à Strasbourg pour un "paysage"avec cette création et deux anciens spectacles (Tous semblait immobile et Aux éclats), des ateliers, des rencontres, une soirée DJ, etc. Jusqu'au 26 mars.