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Billet de blog 11 février 2023

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Ivan Viripaev à l’écoute des prisonniers biélorusses

Avec ses amis Polonais, Ivan Viripaev, le plus connu des dramaturges contemporains écrivant en langue russe, s’est mis à l’écoute des Biélorusses réprimés et emprisonnés par leur président mal élu, Loukachenko. Créé à Varsovie, « 1,8 mètres » arrive à Nanterre.

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Illustration 1
Scène de © M. Wicz

Ne dites plus à Ivan Viripaev qu’il est Russe, il ne l’est plus. « Le terme « réalisateur russe » ne me correspond plus. J’ai rompu toutes les relations avec la Russi», dit-il… en russe. C’est là sa langue natale et la langue de son œuvre dramatique considérable traduite et jouée en bien des langues de par le monde, faisant de lui le dramaturge contemporain de son pays natal le plus productif et le plus joué à étranger et en Russie avant d’y être... interdit. Lorsqu’à la fin février 22, Viripaev a décidé que ses droits d'auteur iraient à un fondation humanitaire polonaise d’aide pour les réfugiés ukrainiens, toutes ses pièces qui étaient au répertoire (dont cinq à l’affiche) des théâtres russes ont été interdites, son nom banni.

Pour des raisons entre autres affectives, Ivan Viripaev vit désormais en Pologne et a pris la nationalité polonaise. Et c’est à Varsovie, fruit d’une production polonaise (WEDA Projek, une agence de production fondée par Ivan Viripaev et Karolina Gruszka, ainsi qu’une fondation) et une coproduction entre le Nowy Teatr (dirigé par Krzysztof à Varsovie Warlikowski) et le Festival Sens interdits à Lyon (dirigé par Patrick Penot), qu’il a écrit et mis en scène 1,8 M.

Une mètre quatre vingt carré, c’est l’espace dans lequel « vit » un condamné ou un prévenu dans un prison biélorusse. Pas de quoi faire les pieds au mur, se prélasser ou même s’allonger pour dormir, tout au plus rêver recroquevillé à des temps meilleurs. C’est à partir des lettres et des témoignages recueillis auprès de prisonniers ou de leurs proches famille, ou d’anciens prisonnier enfermés dans les geôles biélorusses, ainsi que leurs dernières paroles au tribunal avant leur condamnation, que Viripaev a composé cet ensemble que le metteur en scène, c’est à dire lui-même, a choisi de faire dire face au public, debout, sans autre accompagnement au début et à la fin que ceux de chants traditionnels biélorusses enregistrés.

Parmi les huit actrices et les acteurs présents, près des trois quarts sont des artistes biélorusses réfugiés en Pologne et figurent souvent sur des listes noires des services de Loukachenko, le président biélorusse frauduleusement élu et devenu obligé du président russe. Cette élection a entraîné de grandes manifestations et de multiples arrestations qui sont au cœur de 1, 8 M. C’est pourquoi, par prudence, les noms des six artistes biélorusses présents sur le plateau ne sont pas mentionnés dans la distribution, aux côtés des artistes polonais, Bartsz Bieleria et Ewelina Pankowska. Chacun parle dans sa langue, Manon Gallet et Axel Ducret assurant la traduction simultanée en français.

La sobriété du dispositif est exemplaire, elle rend d’autant plus percutante, la restitution des témoignages par les actrices et acteurs on ne peut plus économes de leurs gestes. Des mots, encore des mots. Implacable.

Ténia, 25 ans, et son frère on été arrêtés dans un trolleybus après la marches des femmes. Elle a été condamnée à huit mois de prison ferme. Son frère, pour avoir résisté aux forces de l’ordre, a été condamné à 5 ans de réclusion dans une colonie pénitentiaire.

Zmicier, 33 ans, raconte comment on l’a battu : « ils m’ont frappé tellement fort le ventre que je me suis pissé dessus, puis on nous a déchargés du bus et on est passés à travers un couloir de matraques et ils criaient « gueules au sol, interdit de regarder ». 

Olga, 46 ans a vu la police venir arrêter, chez elle, ses deux fils dont l’un lourdement handicapé. On les accusait d’avoir participé aux manifestations et d’avoir piraté le réseau de l’administration. « Ma vie maintenant est faite de conversations avec l’avocat, d’envois de colis en prison, de lettres, mais je ne regrette rien. Et je suis reconnaissante au destin pour tout. Particulièrement pour les belles personnes que je rencontre. Dans l’Histoire, les Biélorusses ont été sans cesse attaqués, envahis, mais regardez-nous : nos gènes sont indestructibles. Nous sommes incroyables, nous sommes justes improbables ». Puissent-ils l’être encore et toujours.

Spectacle crée au Nowy Teatr de Varsovie, vu à Reims au festival Faraway le 7 février, il est à l’affiche du Théâtre de Nanterre-Amandiers, du 14 au 18 fév, les mardi et mercredi à 19h30, jeudi et vendredi à 20h30, samedi à 18h. Toutes les pièces de Viripaev sont publiées en traduction française au Solitaires Intempestifs.

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