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Billet de blog 11 juillet 2015

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Juliette et Justine du Marquis de Sade ou Bettencourt boulevard de Michel Vinaver ?

D’un soir unique à l’autre, le Marquis de Sade et Michel Vinaver ont eu les honneurs d’Avignon. L’un avec deux de ses héroïnes, Justine et Juliette ; l’autre avec sa dernière pièce, « Bettencourt boulevard ».

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Entendre Isabelle Huppert proférer le mot « foutre » ou le verbe « enculer » dans la Cour d’honneur du Palais des Papes avait quelque chose de réjouissant tout comme d’entendre dans la bouche d’Anouk Grinberg les mots « Eric Woerth », « François-Marie Banier » ou « Nicolas Sarkozy » en lieu et place des Iago, Tartuffe et Richard III habituels. La plus obscène de ces deux soirées de lecture n’était peut-être pas celle qu’on croit.

 Du con et foutre au pied des papes

Sur le vaste espace de la Cour d’honneur où reste dressé le plateau en bois de Lear, Huppert s’avance seule, dans sa robe rouge caressée par le mistral qui s’invite superbement dans la partie. C’est un partenaire redoutable, Huppert le sait, elle l’a déjà affronté sur cette même scène. Elle y va bravement. Toute la soirée, elle va se battre avec cet intrus qui colle le tissu contre ses jambes nues, qui lui dénoue les mèches de cheveux à tout va et qui surtout s’en prend au texte qu’elle tient en main, menaçant à chaque instant d’emporter une feuille avec lui. C’est un combat. Les mains de l’actrice retiennent le texte comme le ferait une mère à qui un inconnu veut prendre son enfant tandis que sa voix lutte pied à pied avec les bruits de page qui claquent dans les micros (admirablement réglés).

Alors le montage de textes effectué par Raphaël Enthoven et dont on ne comprend pas grand-chose sinon qu’il entend laborieusement illustrer une thèse (Justine et Juliette seraient les deux faces d’une même personne) se perd dans ses circonvolutions artificielles (le théâtre avale mal les thèses). On chipe des phrases par-ci par-là, on se plaît à penser que le fantôme du marquis de Sade, qui rôde dans son château de Lacoste non loin d’Avignon, doit bien rigoler. Un spectacle Sade dans la Cour d’honneur, cela sera pour une autre fois, et mieux vaudrait en confier le script et la dramaturgie à quelqu’un comme Annie Le Brun dont les écrits sur Sade sont un régal.

Michel Vinaver, 86 ans, devait lire hier soir sa dernière pièce Bettencourt boulevard dans la cour du musée Calvet où se déroulent, en public, les soirées France Culture. Blandine Masson, directrice de la fiction, est venue dire au micro que l’auteur, ayant été renversé il y a quelques jours par un voyageur pressé dans le métro parisien, avait dû être hospitalisé. Il n’était donc pas là, et c’est dommage car c’est la première fois (!) qu’il était officiellement invité au Festival d’Avignon. Il y était venu naguère, incognito et emperruqué, alors qu’il était jeune dramaturge et jeune PDG d’une grande entreprise. Sur son lit d’hôpital, il a enregistré quelques mots pour dire combien la politique, les affaires, les faits divers avaient été pour lui des sources d’inspiration et de réflexion. C’est bien entendu le cas avec Bettencourt boulevard. Et il a demandé à sa fille, l’actrice Anouk Grinberg, de le remplacer. Anouk a relevé bravement le défi en très peu de jours.

 Des biftons et du jean foutre chez les Bettencourt

Pas de mistral dans la cour du musée Calvet qui a trop à faire depuis la veille à forniquer avec le marquis de Sade. Assise derrière un micro, l’actrice lit le texte qu’elle a sous les yeux, bien posé sur la table, on n’entend pas le bruit des feuilles dans les micros (admirablement réglés). Elle dit le titre, puis le sous-titre : « ou Une histoire de France ». Elle en vient maintenant à la liste des personnages par ordre d’entrée en scène. D’abord un « chroniqueur » qui est un peu le fil rouge puis « Eugène Schueller, le fondateur de L’Oréal et père de Liliane Bettencourt », « le rabbin Robert Meyers, grand-père de Jean-Pierre Meyers (mari de Françoise Bettencourt, fille de Liliane), etc. Le dernier personnage à entrer en scène sera « Florence Woerth, femme d’Eric Woerth », ce dernier étant présenté comme « ministre du Budget, maire de Chantilly, président du Premier Cercle ».

Entrent encore les gestionnaires, les femmes de chambre, Claire Thibout la comptable, un neuropsychiatre. Une trentaine de séquences plus ou moins brèves. Le mot boulevard du titre jouit de sa polyphonie effervescente : on y voit le nom d’une artère future de la République pour services rendus à la nation, l’amorce d’une comédie de boulevard avec une île paradisiaque dans le rôle du placard, enfin cette histoire piquante comme un moustique est un boulevard pour un dramaturge. Vinaver est à son affaire : il connaît aussi bien le monde de l’entreprise que la dramaturgie théâtrale. De séquence en séquence, on avance dans ce feuilleton souvent croquignolesque, même si l’auditeur assis sur une chaise ou allongé dans une des chaises longues disposées dans la cour du musée Calvet, se perd un peu, forcément, en entendant une voix unique dire une foultitude de personnages. La pièce sera créée au TNP de Villeurbanne la saison prochaine par Christian Schiaretti.

Juste pour le plaisir, le début de la séquence 24 (non ponctuée, comme les autres). En scène, Patrick de Maistre, le gestionnaire de fortune de Liliane Bettencourt, et François-Marie Banier que l’on ne présente plus et que d’ailleurs Vinaver ne présente pas :

« P. de Maistre. Ah vous voilà à la fin des fins François-Marie / François-Marie il faut absolument que je vous parle

F-M Banier. Mais parlez Patrice parlez vous avez pris des couleurs rajeuni

P. de Maistre. Fais quinze jours de bateau en Grèce... J’adore la Grèce » 

Il adore la Grèce.    

Marquis de Sade, Justine ou Les Malheurs de la vertu (Gallimard, collection L’Imaginaire), L’Histoire de Juliette ou Les Prospérités du vice (10/18).

Michel Vinaver, Bettencourt boulevard ou Une histoire de France, L’Arche, 134 p., 13€. L’émission, réalisée par Baptiste Guitton, sera diffusée sur France Culture le 20 septembre dans le cadre de Théâtre & Cie.

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