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Il y a trente ans, dans la petite salle Bérard du théâtre de l’Athénée-Louis Jouvet, Jacques Rebotier présentait Réponse à la question précédente. En scène, trois personnages bien connus des gens de théâtre même non spécialisés : Jardin, Cour et Plateau. Trois actes, tous brefs: I « la scène se passe dans un crâne », II « la scène est dans un crâne, est un théâtre », III « la-scène-c’est-un-crâne-c’est-un théâtre-c’est-un-monde ».Premier exemple d’un « parlé-chanté » par un chœur qui allait caractériser nombre de ses spectacles comme, vingt ans plus tard, Les trois Parques m’attendent dans un parking (avec Caroline Espargilièr, Nicole Genovese et Vimala Pons). Et c’est formidablement le cas aujourd’hui avec Six pieds sous ciel-un chœur créé dans la petite salle du Théâtre de la Colline avec six pieds (ceux des actrices-musiciennes) qui , faisant chœur, nous font monter au ciel.
« La langue est son orchestre. Et Rebotier nomme justement ses textes des « partitions de paroles ». Son but ? Restituer « dans son étrange nudité l’infinie rumeur de la langue qui se parle à elle-même, qui parle toute seule, qui dit quelque chose à nos cerveaux ». Tel le mercure de la météo, Rebotier est un baromètre. Comment vivre sans Rebotier, ce Boileau déjanté, ce Ferdinand de Saussure en slip, ce taille-crayon ? Après Réponse à
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la question précédente, on est en droit de se poser la question » écrivions-nous après avoir vu le spectacle. Au fil des années, une tripotée d’aventures scéniques et quasi autant de livres (comme Le désordres des langages aux Solitaires intempestifs ou Le dos de la langue chez Gallimard) allaient creuser et retourner la question dans tous les sens entre les mots dits, ce lot commun, et la musique d’où Rebotier vient.
Elles sont donc trois, Anne Gouraud, Aurélie Labayle et Emilie Launay-Bobillot. La première est contrebassiste, chanteuse et comédienne, la seconde comédienne, metteuse en scène et saxophoniste, la troisième comédienne, metteuse en scène et violoniste. Les trois entrent en scène avec une tenue qui les rassemble et en avant la partition pour trois, autant musicale que textuelle, chacune la sienne et les trois en une.
La musique des flopées de dire est écrite et mise en scène et en rythme par Rebotier, c’est aussi lui qui a récolté et orchestré les mots dits ou entendus ici ou là (métro, boulot, radio, télé, série, café, journaux, réseaux sociaux, etc). Autant de segments de phrases extraites de notre quotidien mettant sur le même plan telle injonction qui sort d’un téléphone, un bout de phrase d’un homme politique entendue aux infos ou tel morceau de propos d’un vendeur d’ustensile, tel début d’une exclamation chopée au coin d’une rue, d’une pub, d’un bulletin d’infos ou d’un bar. Président de la République ou pékin du coin, c’est tout comme.
C’est apparemment simple, c’est, en fait, diabolique. Cela conjugue un effet de reconnaissance immédiate des mots de la part du public complice de ce zapping effréné et une secousse-déroute-jouissance de l’écoute due au rythme musical saccadé et au travail intense du chœur. On est pris, surpris, emportés, ravis. Le chaman Rebotier a encore frappé.
Théâtre de la Colline, le mar 19h, du mer au sam 20h, dim 16h, jusqu’au 24 nov. Puis du 22 au 24 janv au Théâtre de Chateauvallon.