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Naguère, Eric Vigner avait été révélé par sa mise en scène de la Maison d’os de Roland Dubillard présentée dans une usine désaffectée de la région parisienne. Il devait retrouver Dubillard lorsqu’il fut nommé au CDN de Lorient avant, adoubé par sa sœur, d’embrasser des deux bras l’œuvre de Marguerite Duras. Après bien d’autres aventures avant, pendant et après ses années au CDN de Lorient dont une histoire d’amour avec le Théâtre National de Tirana (Albanie), le voici à Pau où il a créé le CRCTP, le centre de Recherches et de Création Théâtral de Pau voué au répertoire français du XVIIe au début du XXe siècle. Après un cycle Molière le voici qui entame un cycle Alfred de Musset en qui Vigner voit un maître du théâtre de l’intime « entre littérature et poésie dramatique » et par la même établit une ligne directe entre Alfred et Marguerite.
De Musset, trois pièces sont souvent montées, Les caprices de Marianne (« Je ne vous aime pas Marianne, c’était Célio qui vous aimait »), On ne badine pas avec l‘amour (« Elle est morte. Adieu Perdican ») et, bien sûr, Lorenzaccio, importante pièce qui a fait de Musset l’un des chantres du romantisme. Aujourd’hui, on monte moins, et donc, on connaît moins ses autres pièces, en particulier ses pièces en un acte, et c’est sur elles qui se penche Vigner entouré d’un cercle de spécialistes dont Syvain Ledda auteur d’un excellent Alfred de Musset dans la collection « le théâtre de » aux Editions Ides et Calendes.
Voici donc, successivement , deux de ses « comédies et proverbes » : Il ne fait jurer de rien et Il faut qu’une porte soit ouverte ou fermée données sur la scène du Théâtre 14 dans un décor fait de panneaux plus ou moins transparents qui évoluent d’une pièce à l’autre.
Il ne faut jurer de rien s’ouvre par un dialogue savoureux entre Van Buck un ancien et riche négociant, veuf et sans enfant, prêt à donner une bonne part de sa fortune à son neveux Valentin qui « écrivaille dans les gazettes » et semble avait été malheureux en amour. L’oncle l’entretient, veut en faire son héritier mais voudrait d’abord le voir marié. « Tu as des dettes, je te les paierai ; une fois marié ». Le nom de la future épousée à laquelle il songe lui échappe : Melle Cécile de Mantes. « Tu es agréé, tu lui plaît » insiste l’oncle. Valentin dit la trouver « laide », etc.
La mère de la jeune fille et un abbé vont entrer dans la danse, tout comme une lettre écrite par Valentin et adressée à Cécile ainsi qu’un accident bénin qui permet à Valentin d’entrer dans le château de la baronne de Mantes sans dévoiler son identité . Un magnifique jeu de dupes et de faux semblant qui se conclura après la fin de la pièce par un mariage, comme quoi, dit Van Buck à la dernière réplique : « Mon neveu, il ne faut jurer de rien ».
Eric Vigner met en scène ce Proverbe avec des élèves de l’école du TNB (Esther Armangol, Lucille Oscar Camus, Stéphane Delile, Esther Lefranc, Paolo Malassis et Nathan Moreira) encore verts, les scènes en perdent parfois de leur piquant . Ce qui n‘est pas le cas du second proverbe, Il faut qu’une porte soit ouverte ou fermée, pièce interprétée en majesté par Christèle Tual et Thibault de Montalembert, comédiens entrant avec délice dans les mots souvent retors de Musset.
Tout se passe dans un espace unique : un petit salon avec cheminée et canapé dont se passe Vigner pour s’en tenir au jeu d’autant que la distribution réduite est réduite à ces deux personnages qui ne quitteront pas la scène : le comte et la marquise.
C’est un mardi , jour où la marquise reçoit mais il est encore tôt pour les visites, de plus le soir la marquise dot aller à un bal où elle veut « être jolie » elle a donc a décidé qu’elle ne se « fâcherai(t) pas de la journée ». En face d’elle, un comte qui voit dans l’hiver « une maladie ». En commun, le vieillissement qui commence à les assaillir l’un et l’autre, « c’est peut-être que nous vieillissons/ je commence à avoir trente ans et je perds le talent de vivre » dit la marquise, le comte pourrait en dire tout autant.
« Bref, le lieu clôt, le tête à tête, l’hiver et l’âge, tout les rapprochent. Ils hésitent à ouvrir leur cœur ou à le laisser fermé, il en va comme de la porte du salon qui n’est pas vraiment fermée ni totalement ouverte. L’heure est aux périphrases, aux contournements, autant de façons d’avancer en louvoyant sur le terrain de l’amour, car quel autre mot ? On avance puis on tergiverse, Musset se régale. La marquise dit par deux fois « adieu » au comte sans pour autant bouger ni le congédier. Au contraire, elle le retient de la plus simple des façons en lui ordonnant : « mais fermez donc cette malheureuse porte ! Cette chambre ne sera plus habitable. » Dernière réplique de la pièce. Le compte va fermer la porte et le rideau tombe les laissant à leur intimité. Un régal.
Il ne faut jurer de rien, mar au ven 19h, sam 16h. Il faut qu’une porte soit ouverte ou fermée , du mar au ven 21h, sam 18h, au Théâtre 14 jusqu’au 20 déc.