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C’est à « À ma mère, à mes frères et sœurs À Charlie » que Milena Csergo dédie sa pièce. Cela fait du monde. Et plus encore pour Igor Mendjisky qui écrit la sienne « Pour lilah, Roméo et Esther. Pour mes sœurs, mes frères et ma mère. Pour mon père ». Isadora comme elle est belle et quand elle se promène, la pièce de Milena Csergo au titre attirant a été publiée en 2019 chez Théâtrales, celle d’Igor Mendjisky Les couleurs de l’air, au titre plus anodin, a été publiée chez Actes-Sud Papiers en 2020 . L’autrice et l’auteur sont d’anciens élèves du CNSAD (Conservatoire National Supérieur d’Art Dramatique). Igor Mendjisky a été artiste associé au Théâtre du Nord, il l’est aujourd’hui à l’Azimut de Châtenay-Malabry. Milena Csergo, co fondatrice de l’ensemble Éventuel hérisson bleu en 2009, vient de le quitter pour fonder sa compagnie Rose-Quartz et continuer à monter ses propres textes. Je me souviens avoir vu sa pièce J’expire aux limbes d’amour inavoué , sorte de réécriture libre d’Hamlet (lire ici)
Milena Csergo raconte, à la manière d’un conte, l’histoire d’Isadora (on peut y voir son double fantasque ou le fantôme de son jeune passé). Elle le fait par la voie d’un récit composé d’un ensemble continu de petites séquences aux es « répliques », non attribuées et relevant de l’ordre du récit. Elles sont séparées par des retours à la ligne et des tirets comme le font souvent les auteurs dramatiques mais ici il n’y a pas de nom précédent le tiret. Cependant on peut distribuer le texte à plusieurs acteurs ce qui avait été fait à la création de la pièce par d'autres. Aujourd’hui, l'autrice-actrice est seule en scène accompagnée par deux musiciens, compositeurs et interprètes complices Grégoire Letouvet et Alexandre Pierrot. En tant que collaboratrice artistique Maëlle Dequiedt (sortie, elle, de l’école du TNS) accompagne Milena Csergo dans l' aventure, « un solo polyphonique » disent-elles .
Cela commence comme un conte raconté par un enfant qui n’a pas encore appris l’usage du point et des virgules : «Isadora comme elle est belle et quand elle se promène au bout des rues Elle cherche des framboises pour La tarte à sa mère elle doit trouver Les bonnes framboises ou les plus belles il faut les trouver avant six heures l’heure L’heure Où la tarte où la table où les invités En route sa mère a dit qu’ils sont en route ». Tout en chercha t des framboises, Isadora grandit vite, rencontre un « garçon cheval », s’éveille à l’amour ce qui n’est pas du goût de sa mère « elle me serre dans les bras elle crie ! Ma fille ma fille ! L’amour c’est pour les ménagères les serpillières les souilleuses! Pour les estampilleuses! L’amour c’est pour les putes les salopes les torchons les souillons... » Isadora rencontrera trois garçons « sanguinaires » qui joueront à la lancer en l’air, elle s’enfuira. Nouvelle rencontre, celle d’un vieux monsieur que Doisneau aurait bien aimé photographier qui lui raconte des histoires d’enfant. Et ainsi de suite. A la fin les oiseaux aux yeux fermés l’emmèneront haut dans le ciel. Isadora rêve t-elle depuis le début ? Tour à tour enfant, ado, femme, sous nos yeux la femme-enfant et l’actrice s’émancipent, le conte est bon.
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Igor Mendjisky alias Ilia dans sa pièce, raconte, lui, l’histoire aussi vraie que romanesque et truqueuse de son père Samuel, artiste en tous genres qui s’est fait un nom, comme peintre mais aussi comme faussaire en tableaux, comme escroc, etc. Il l lui est arrivé de vendre très cher des fausses toiles de maître réalisées par ses soins, et même des œuvres imaginaires. Tout cela nous est raconté principalement par le biais d’un biopic réalisé par son fils Ilia peu après la mort de son père le 7 mai 2007.
On assiste au tournage de nombreuses scènes dans un désordre chronologique où l’on se perd un peu et même beaucoup car il y a foule : Samuel a été marié trois fois, avec Juliette, puis Cybille et enfin Isabelle, les trois sont présentes dans la pièce plus ou moins furtivement ou durablement. Au fil de ses trois compagnes, Samuel a eu cinq enfants dont des jumeaux Ilia et Olia, Macha et Antoine sont leurs aînés, Anna la plus âgée est morte (mais vient faire un petit tour, de même qu’un acteur joue Samuel jeune), la pièce s’articule autour du biopic (les scènes que l’on tourne) et des coulisses du tournage.. Ah, parmi les personnages, j’allais oublier Dédale, le grand frère de Samuel ainsi que les parents de ce dernier.
Autour de ce noyau familial sur trois ou quatre générations tournicotent notaire, banquier, médecins, mécène, producteur, etc. ainsi que tout le personnel habituel à un tournage, le film et la pièce englobant le tournage ayant le même titre : Les couleurs de l’air. Atch ! j’allais passer sous silence le fantôme japonais qui vient hanter plusieurs scènes. Soit 33 personnages que se partagent une dizaine d’actrices et d’acteurs, Igor Mendjisky jouant le rôle du fils Ilia (donc son propre rôle) et Jean-Paul Wenzel celui de son père âgé. La famille ayant des ancêtres russes, la langue de Tourgueniev traverse le spectacle, d’autant que le tournage se passe en Russie loin de la France où est restée Ada, l’ épouse d’Ilia et leurs enfants. L’anglais, langue première du cinéma aujourd’hui, est aussi de la danse
Pour être fascinante cette mise en abyme de la propre histoire familiale d'Igor Mendjisky n’en est pas moins lassante dans son émiettement. Si la découverte des faces cachées (et pas forcément glorieuses) de son père nous tient en haleine comme toute chasse au trésor, la complexité de cette dernière et le mode gigogne du récit (le film dans la pièce) accouchent d’un spectacle par trop sans queue ni tête.
Sans doute Igor Mendjisky avait-il besoin d’aller au bout de cette histoire familiale si particulière et si alambiquée pour s’en débarrasser pour en raconter d’autres, moins paralysantes. Un soir Ilia se retrouve dans sa chambre d’hôtel durant le tournage et parle tout seul, cela sonne comme un aveu et un regret : « J’aurais aimé que les choses soient plus simples. Qu’on puisse se raconter un peu notre rapport à lui [Samuel, le père mort], à ses mensonges, sa folie, son amour de la démesure, son lien aux femmes, son rapport avec nos mères, avec le décès de son frère. Son lien spécial avec Anna, son chagrin quand elle est morte. Je ne sais pas. J’aurais aimé que l’on échange sur le mystère de sa personne. Sur le bien et le mal qu’il nous a fait ». Alors il appelle son père mort au téléphone...
Isadora comme elle est belle et quand elle se promène, jusqu’au 14 janv, 20h au Théâtre 13 Glacière. P us en Février au Théâtre des Clochards célestes à Lyon et en Mars au Théâtre de la tête noire à Saran près d’Orléans (dates à préciser). Le texte est paru aux Éditions Théâtrales.
Les couleurs de l’air a été créé en septembre dernier à l’équinoxe, Scène nationale de Châteauroux. Après une première série au Théâtre de Malakoff, on a vu le spectacle à l’Azimut à Chatenay-Malabry où il a été à l’affiche du 5 au 9 janv. Suite de la tournée : le 21 janv au théâtre du Vézinet, les 28 et 29 janv au Théâtre Romain-Rolland de Villejuif, le 4 fév au Théâtre de Corbeil-Essonnes, le 17 fév à l’espace Marcel Carné de Saint-Michel-sur-Orge. La saison prochaine le spectacle sera à l’affiche du Théâtre des Bouffes du Nord du 3 au 19 nov. Le texte de la pièce est paru aux Editions Actes Sud-Papiers.