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Billet de blog 12 février 2023

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Pascal Rambert, terre des contrastes

L’écrivain Pascal Rambert aime écrire des pièces pour les actrices et pour les acteurs. Et il aime aussi les mettre en scène. La preuve par « Perdre son sac » et par »Ranger ». Deux spectacles que tout oppose. L’un top, l’autre toc.

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Illustration 1
Lyna Khoudri dans "Perdre son sac" © Louise Quignon

Depuis Désirs, son premier spectacle personnel il y a quarante et un ans, Pascal Rambert écrit pour les actrices, pour les acteurs et souvent les met en scène. Il les aime éperdument. Inlassable amoureux obstiné, toujours avide jamais las, jamais repu, en perpétuel rut. Certaines pièces comme Clôture de l’amour (écrite pour l’actrice Audrey Bonnet et l’acteur Stanislas Nordey) resteront, - au demeurant la pièce, devenue un classique contemporain, est traduite et jouée dans une multitude de pays. D’autres pièces vieilliront bien ou mal, trop tôt pour le dire, certaines sans doute trop liées à une époque, une mode disparaîtront, d’autres plus caméléons ou en suspension, dureront.

Pascal Rambert n’a pas écrit Perdre son sac (pièce éditée en 2019 aux Solitaires intempestifs comme les autres) pour  l’actrice Lyna Khoudri (30 ans) mais c’est avec elle qu’il a eu envie de la mettre en scène et c’est un miracle. C’est pour le grand Jacques Weber (73 ans) qu’il a écrit et mis en scène Ranger ( pièce éditée en août 2022) et, on le dit avec tristesse, c’est plutôt un désastre. Les deux pièces sont présentées ensemble, la première à 19h, la seconde à 21 h au Théâtre des Bouffes du Nord auprès duquel Pascal Rambert est artiste associé.

Perdre son sac

La fille sans nom s’avance en salopette et t-shirt jusqu’au centre du plateau où sont posés ses instruments de travail (ceux d'une laveuse de vitres occasionnelle), le tout devant une grand toile bleue masquant le reste de la scène. Elle est avec nous, on est avec elle. « J’ai plein d’agressivité » dit-elle, son corps et son phrasé nerveux le montrent. C’est une fille d’aujourd’hui, bac plus cinq sans boulot à plein temps qui trouve tout ou presque « abject ». Elle en veut à la génération de son père (qui, piochant dans son bonus de miles, l’a invitée trois jours à Abu Dhabi), mais elle use parfois d’un vocabulaire qui recycle celui de celui de la génération du paternel lorsqu’elle parle de« balancer des pavés dans la grande vitrine brillante » de la boutique où elle vient de flasher pour le visage et le corps de Sandrine dont elle vient aussi d’apprendre le prénom.

Alors le texte, mu par l’amour naissant, trouve son rythme, son tempo. « JE T’AIME SANDRINE je veux que tu viennes me rejoindre j’ai envie de te voir c’est possible l’amour entre filles j’ai le droit de t’aimer j’ai le droit de vouloir te retrouver pour mettre ma main dans ta culotte et te toucher en silence » Elle imagine tout. L’argent, les voyages, Elle fantasme sa vie avec Sandrine. Elle se dit prête à « branler des mecs dans les parcs pour se faire de l’argent plus vite si tu veux Sandrine pour toi pour notre amour ». Mais la réalité la rattrape : sa grand-mère tant aimée se meurt. Tout se détraque dans son corps de détraquée bourrée de médicaments .

Bien dirigée par Rambert, Lyna Khoudri s’empare de ce texte avec une passion dévorante, une fougue maîtrisée, une diction précise, elle nous jette ses phrases qui peu à peu tombent leurs masques, elle irradie.

Ranger

Le texte de Ranger et celui de Perdre son sac sont écrits sans ponctuation. C’est un bonus pour Lyna Khoudri, c’est un malus pour Jacques Weber qui, trop timidement dirigé par Rambert, se noie progressivement dans un dire monotone, sans relief, là-las sur la scène , loin de nous. Il faut dire que l’acteur est bien mal servi par un décor étouffoir représentant une chambre de luxe dans un hôtel de Hong Kong. Caché derrière la bâche bleue de Perdre son sac, ce décor signé Pascal Rambert et Aliénor Durand est comme une insulte faire aux murs habités et à la scène si belle des Bouffes du Nord.

L’homme d’affaire paît-il écrivain (Jacques Weber) est seul dans cette grande chambre avec un lit king size et vue sur la ville. Face à la photo de sa femme morte un an auparavant, il sirote au goulot une bouteille de whisky et se fait des lignes de coke sans doute hyper coupée car elle n’entame pas le coté flegmatique et comme anesthésié que l’acteur insuffle à son personnage assez palot.  « ...je suis au bout je crois de ce qu’un être humain peut tolérer dans son corps car c’est une affaire de corps l’absence j’ai dormi contre toi pendant combien de nuits ? » dit-il, et plus loin «  des fois mon cerveau me perd je commence une phrase et je me retrouve dans des paragraphes inconnus la vie est devenue une forêt de chapitres hostiles les mots quand tu est morte ont désert la page sur laquelle je vivais ». Avec ce phrasé compassé et tarabiscoté, l’auteur ne facilite pas la tache de l’interprète. On se souvient alors combien Weber était fabuleux lorsque Peter Stein le dirigeait dans un Beckett

Le fade récit d’un dîner ne sauvera pas la mise de Ranger, le spectacle peut à peu s’enlise, en lançant au passage quelques piques aux correspondants de la presse française conviés pour interroger la vie et la carrière de l' homme venu là, lui, pour mourir. Il connecte son portable sur l’enceinte bluetooth de la chambre d’hôtel et écoute une dernière fois Aznavour chanter Hier encore. Tel les albatros du poète qui « Laissent piteusement leurs grandes ailes blanches/ Comme des avirons traîner à côté d’eux. », le grand corps massif de l’acteur a bien du mal à se déployer et le texte souvent faible, bien qu’écrit pour lui, l’aide en rien.

Théâtre des Bouffes du Nord, Perdre son sac, du mar au sam 19h, Ranger, du mar au sam 21h, jusqu’au 18 fév. Les textes des pièces sont publiées aux Solitaires Intempestifs.

Perdre son sac a été créé à Rabat fin octobre et a tourné dans plusieurs villes marocaines puis a été donné au TNB avant les Bouffes du Nord.

Ranger part en tournée  après les Bouffes: 24 fév à L’Octogone de Pully (Suisse), 18 mars à L’Astrada de Marciac, les 21 et 22 mars au Théâtre Saint-Louis à Pau, du 28 au 31 mars à la Comédie de Béthune, les 5 et 6 avril au Théâtre Municipal de Villefranche, le 13 avril 2023 au Canal de Redon

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