jean-pierre thibaudat (avatar)

jean-pierre thibaudat

journaliste, écrivain, conseiller artistique

Abonné·e de Mediapart

1068 Billets

0 Édition

Billet de blog 12 avril 2022

jean-pierre thibaudat (avatar)

jean-pierre thibaudat

journaliste, écrivain, conseiller artistique

Abonné·e de Mediapart

Ivan Viripaev : « Ovni » soit qui mal y pense

Alors que les pièces d’Ivan Viripaev sont interdites en Russie parce que l’auteur souhaitait que ses droits d’auteur soient versés à un fonds pour la paix en Ukraine, Eléonore Joncquez met en scène "Ovni", pièces de cet auteur bien identifié comme étant le dramaturge russe contemporain le plus joué au monde -désormais donc excepté dans son pays où « Les masque d’or » jouent les épouvantails.

jean-pierre thibaudat (avatar)

jean-pierre thibaudat

journaliste, écrivain, conseiller artistique

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Illustration 1
Scène d'Ovni © Fabienne Rappeneau

Les « Masques d’or », la grande manifestation annuelle du théâtre russe, se tiennent depuis  le 7 avril et s’achèveront ce soir à Moscou mais sans cérémonie festive ( les prix seront annoncés « on line »), en raison de la guerre en Ukraine même si le mot guerre n’aura  pas été prononcé ( ce qui aurait conduit les organisateurs à être condamnés par la justice poutinienne). Tout se passe donc, comme si de rien n’était, dans un phénoménal entre soi et  sans la présence étrangère habituelle. Lev Dodine, bien qu’il ait appelé publiquement à ce que la guerre cesse, était au programme avec sa version des Frères Karamazov , Konstantin Bogomolov présentait un autre Dostoïevski, Les démons, Dmitry Krymov lui, proposait un spectacle à partir de La mouette de Tchekhov, quant à Andrei Moguchi  il avait composé un spectacle à partir des écrits de Youri Olecha. Rien là de très contemporain côté auteurs Andrii Zholdak, dont plusieurs mises en scène des pièces de Viripaev ont été retirées de l’affiche, proposait une adaptation de Zola , Nana, l’un des rares spectacles à aller fureter à l’étranger, c’était  aussi le cas pour une pièce de Mark Ravenhill par Alexei Martynov. Parmi les rares pièces russes contemporaines, citons Judith de Klim par Boris Pavlovitch ou Alvis Hermanis qui a écrit et mis en scène un forcément surprenant Gorbatchev. Revenons à Viripaev forcément exclu de ces Masques d’or, mais présent chaque saison sur les scènes françaises, présentement depuis 7 avril  au Théâtre de la Tempête avec une nouvelle mise en scène d'Ovni.

Son Théâtre en traduction française compte aujourd’hui deux volumes publiés aux Solitaires Intempestifs, soit treize pièces entre 2000 et 2020 , majoritairement traduites par Tania Moguileskaïa et Gilles Morel, les premiers à l’avoir repéré la première fois que cet habitant d'Irkoutsk  près du lac Baïkal, soit venu à Moscou. Ovni  (pièce de 2013) ouvre le second volume.

Dans un préambule Viripaev s’adresse aux spectateurs et à ceux qui veulent monter sa pièce pour en expliquer la genèse. Au départ, Viripaev qui est aussi cinéaste, voulait réaliser un film « sur des personnes qui ont été en contact avec un ovni. ». Il est allé voir sur Internet , cela pullule. Viripaev a écarté les farfelus, ceux qui voulaient faire parler d’eux, etc. Il a dressé une liste de quatorze individus, bien décidé à aller à leur rencontre. « J’ai demandé de l’argent à un oligarque russe que je connaissais et il a accepté de financer mes déplacements » assure-t-il (c’était au début des années 2010).

Le voilà parti aux États-Unis, en Australie, en Norvège, en Angleterre, etc., pour rencontre ces personnes en passe de devenir les  personnages de son futur film. Il dit les avoir rencontrées « plusieurs jours d’affilée », avoir « enregistré en vidéo » toutes les conversations. Finalement, Viripaev a mis de côté quatre cas peu fiables  et ensuite il a écrit un scénario. Restait à financer le tournage. Les producteurs contactés ont fait la fine bouche, raconte-t-il. Niet, niet, niet.

Alors Viripaev a décidé de condenser les conversations et d’en faire une pièce UFO (Ovni). Et il conclut ainsi sa lettre aux spectateurs et aux acteurs ; « j’espère vivement qu’en travaillant sur ce spectacle, les comédiens traiteront les personnes dont ils vont parler avec respect parce qu’à vrai dire ce n’est pas du tout important si ces personnes ont ou n’ont pas rencontré des extra terrestres ou s’il s’agit d’une invention de leur part. Ce n’est pas important ». De même il n’est pas important de savoir si Ivan Viripaev a tout inventé, si son histoire d’oligarque, de voyages et d’enregistrements sont une fable dont iles l'auteur. Ou pas.

Toujours est-il que la pièce est faite de monologues, uniquement de monologues (sa seule pièce construite ainsi). Voici Emily, 22 ans, étudiante, qui vit dans une ville australienne ; Artion, un Russe de trente cinq, programmateur qui vit à Hong Kong; Nick, vingt-sept ans, coursier, qui vit à Détroit ; Hilge , une norvégienne de 28 ans qui vit à Skien et travaille dans une agence de tourisme ; Robert, quarante-trois ans, directeur des nouvelles technologies entrepreneuriales d’une ville anglaise; Jennifer, new-yorkaise de 25 ans, vendeuse dans un magasin de musiqu ; Matthew, soixante et un ans, irlandais, devenu star de sa petite ville portuaire, grâce à sa page Facebook ; Dieter, quarante-huit ans, qui dirige le bureau Mitsubishi à Cologne ; Jennifer, trente-quatre ans, femme au foyer dans l’Illinois. Le dernier, Viktor, est l’oligarque que Viripaev dit avoir contacté. A chaque fois , le rapport aux extra-terrestres est comme un miroir qui reflète la vie de chacun et c’est d’abord cela que Viripaev explore, imagine. Il se régale. Et nous aussi.

La pièce, créée en traduction française par Olivier Maurin en 2019, est cette fois mise en scène avec un tempo efficace par Éléonore Joncquet laquelle interprète (fort bien), deux rôles comme ses camarades Grégoire Didelot, Vincent Joncquet, Patrick Pineau (que l’on a plaisir à retrouver comme acteur) et Coralie Russier. Portées par une astucieuse scénographie (Natacha Markov), les vies se succèdent comme autant de rencontres éphémères, de bouts de vie qui passent, à peine saisies, déjà parties, sous la plume de Viripaev qui pianote le théâtre comme personne.

Ovni, Théâtre de la tempête, du mar au sam 20h30, dim, 16h30 jusqu’au 24 avril

Théâtre de Viripaev, aux Solitaires Intempestifs, Volume un, 2000-2012, 428p, 23€ , Volume deux, 2013-2020, 398p, 23€

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.