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Billet de blog 12 juin 2016

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Les planches en deuil du décorateur André Acquart

Né en 1922, le décorateur, costumier et scénographe André Acquart vient de s’éteindre. Disparition d’un homme qui joua un rôle majeur dans l’histoire du théâtre auprès de plus grands : Serreau, Blin, Vilar, Terzieff pour ne citer qu’un carré d’as.

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« Les planches », cette autre façon de désigner la scène d’un théâtre, André Acquart en avait fait son affaire, utilisant souvent le bois pour son travail. Décorateur ? Scénographe ? La terminologie importe peu : le nom d’André Acquart restera associé à ceux qui, dans les années 50, 60  et au-delà bouleversèrent l’ordonnance du théâtre français.

Derrière Les Paravents

Le hasard de l’actualité fait qu’au moment où disparait André Acquart  sont exposées à Marseille les maquettes de ses costumes et décors pour Les Paravents dans la mise en scène de Roger Blin, moment qui est l’un des points forts de l’exposition Genet au Mucem. Un exemple emblématique de son travail dont l’expression « machine à jouer » (qu’il utilise lui-même) dit la visée.

Acquart tourne le dos à la machinerie traditionnelle des théâtres pour construire des échafaudages, des plateformes, multiplier des plans inclinés. La pensée de l’acteur qui va s’en saisir, les fouler et y circuler, est constamment présente. Des dispositifs, des volumes, nés d’une lecture de la pièce et de discussions avec le metteur en scène, creusets du mouvement scénique. C’est parfois imposant, ce n’est jamais lourd : l’air circule, l’acteur peut jaillir de partout. Cette affirmation scénique, cette prise du pouvoir du plateau comme espace, est en osmose, d’une part, avec l’importance croissante des metteurs en scène, et, d’autre part, avec le mouvement de la décentralisation dramatique et ces « cathédrales de la culture » qui vont alors s’ouvrir dans les grandes ville de France.

Revenons aux Paravents. Acquart avait déjà travaillé avec Roger Blin pour Les Nègres du même Genet, et c’est le metteur en scène Jean-Marie Serreau qui les avait présenté l’un à l’autre. Acquart avait réalisé les décors de deux mises en scène de Serreau, Les Coréens de Michel Vinaver en 1957 et Le Cadavre encerclé de Kateb Yacine en 1958. Serreau est, en France,  un homme clef de l’histoire du théâtre de l’après-guerre dont on attend qu’un jour un livre nous raconte l’histoire. Acquart a eu le sien de son vivant, écrit avec précision par Jean Cholletil y a une dizaine d’années (André Acquart, architecte de l’éphémère, Actes Sud) en marge d’une exposition à la BNF qui montrait les facettes du travail d’Acquart au théâtre mais aussi à l’opéra.

La tribu des Acquart

Acquart travaillait en famille. Sa femme, Barbara Rychlowska, ses enfants. Ils ne sont pas toujours au générique, mais ils sont là, les Acquart formaient une tribu. La tribu (sa compagne, son fils) travaillait à ses côtés au moment des Paravents, spectacle phare des années 60. Le rôle d'Acquart fut déterminant. Roger Blin : « J’ai obtenu, grâce à André Acquart qui a fait un travail extraordinaire, une fluidité de tous les mouvements sur la scène qui me semble essentielle pour ce spectacle. » L’un des critiques les plus perspicaces de l’époque, Jacques Lemarchand (dont on attend que Claire Paulhan poursuive l’édition de son journal), ne s’y est pas trompé. Dans son article (Le Figaro littéraire du 28 avril 1966), il écrit : « Roger Blin, metteur en scène, et André Acquart, décorateur de ces Paravents, ont puissamment aidé Jean Genet à gagner la plus difficile partie – jusqu’à présent – qu’il ait engagée. Imaginée par l’auteur, ces paravents qui se plient, de déplient, bougent et s’épanouissent, reçoivent de l’imagination supplémentaire d’André Acquart une vertu scénique singulière. »        

Le nom d’Acquart est associé à bien d’autres spectacles (environ quatre cents !), à commencer par la mise en scène de La Résistible Ascension d’Arturo Ui de Brecht par Jean Vilar, Bleus, blancs, rouges de et par Roger Planchon ou Mort d’un commis voyageurd’Arthur Miller par Gabriel Garran. Laurent Terzieff, Georges Werler, Guy Rétoré, Jean-Pierre Miquel et Georges Sallet (qui allait devenir le critique Gilles Sandier) firent appel à lui. Et beaucoup d’autres. André Acquart ne fut pas le décorateur d’un metteur en scène attitré (comme Peduzzi pour Chéreau), mais le décorateur d’une époque. Qui, comme lui désormais, n’est plus.

Obsèques le mardi 14 juin à 15h30 au crématorium du Père Lachaise.

André Acquart, architecte de l’éphémère par Jean Chollet, Actes Sud.

« Jean Genet, l’échappée belle » au Mucem à Marseille jusqu’au 18 juillet.

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