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« Les problèmes de la Révolution et de l’émigration sont primo : intemporels, et secundo : particulièrement actuels à notre époque », note Ödön von Horvath pour expliquer pourquoi, en écrivant Figaro divorce, une suite au « Mariage de Figaro » de Beaumarchais (pièce écrite peu de temps avant la Révolution française et en ayant le pressentiment), il en situe l’action « à notre époque » soit, pour lui, 1936. Mais, mis en scène aujourd'hui, Figaro divorce clignote aussi vers notre époque, 2015, où la question des émigrés occupe l’Europe.
Des personnages et un auteur exilés
La première scène montre des individus passant nuitamment et clandestinement une frontière, fuyant leur pays en pleine révolution et changement de régime. C’est grâce à leurs serviteurs, un couple, Figaro et sa femme Suzanne, que le comte Almaviva et la comtesse arrivent dans un pays étranger sans encombre mais désarçonnés.
L’auteur, Ödön von Horvarth, connaît la chanson de l’émigration car lui-même a fui l’Allemagne nazie (on a brûlé ses livres en place publique, ses pièces sont interdites dès 1933) pour se réfugier en Autriche. Amputée de ses passages où il est question d’exil, sa pièce Figaro divorce est créée à Prague en 1937 et l’un de ses plus beaux récits, Jeunesse sans Dieu, est publié la même année à Amsterdam avant d’être saisi par la Gestapo. Hitler envahit l’Autriche, l’exild’Horvath se poursuit en Hongrie et un peu partout en Europe. Réfugié à Paris, il comptait partir pour l’Amérique quand, le 1er juin 1938, lors d’une tempête, un tronc d’arbre abrège sa vie sur les Champs Elysées juste en face du Théâtre Marigny où aucune de ses pièces n’a été jouée jusqu’à aujourd’hui.
Figaro Divorce est une grande pièce sur le déplacement. En particulier celui des êtres depuis leur milieu d’origine (spatial, social, etc. ) jusqu’à des zones inconnues d’eux auparavant. C’est aussi le cas du sentiment amoureux. Tant qu’ils sont au service de leurs maîtres, Suzanne comprend que son mari Figaro ne souhaite pas avoir d’enfant. Mais dans l’exil, puisqu’il n’est plus le serviteur du comte, mais le patron d’un salon de coiffure, elle ne comprend plus son refus et finira par le quitter. Avant de le retrouver dans un happy end, vite fait, bien fait. La pièce, bien que souvent noire, est une comédie.
D’une pièce l’autre
Christophe Rauck met en scène Figaro divorce au Théâtre du Nord à Lille dont il a pris la direction ; c’est sa première création maison. Il devait mettre en scène cette même pièce il y a quelques saisons à la Comédie Française tandis que, parallèlement, Tamas Ascher dirigerait les acteurs du Français dans Le Mariage de Figaro, mais le grand metteur en scène hongrois, malade, dut renoncer. Rauck le remplaça et c’est Jacques Lasalle qui fît entrer Figaro divorce au répertoire de la Comédie Française en 2008.
Il est assez réjouissant de passer d’une pièce à l’autre, de retrouver les personnages après, voire en sautant, un bon nombre d’années. Les dramaturges ont tous les droits et Horvath est un expert en la matière. Son théâtre plein de vivacité est plus libre, plus risqué que celui de Brecht. Entre les deux, le cœur d’un Peter Handke ne balance pas. Sous le nom d’Henri Christophe, Heinz Schwarzinger a beaucoup fait pour faire connaître l’œuvre d’Horvath en France via ses nombreuses traductions.
Côté éditorial, ce fut un peu chaotique. Christian Bourgois avait entamé la parution du théâtre mais s’est arrêté après un premier volume ; en revanche, il reste l’éditeur des œuvres en proses d’Horvath. Les éditions de L’Arche ont fini par publier tout le théâtre en six tomes. Figaro divorce figure dans le Tome V dans la traduction du seul Henri Christophe mais la pièce se trouve aussi en volume séparé à L’Arche dans la traduction d’Henri Christophe et Louis Le Goeffic, après une première publication chez Actes Sud-Papier. L’œuvre aura été aussi ballottée que la vie de l’auteur et celle des personnages de Figaro divorce. Endéplacement permanent, elle aussi.
Déclinaisons du déplacement
Le déplacement, c’est ce qui fonde la mise en scène de Christophe Rauck.La scénographie (Aurélie Thomas) est constituée d’un plateau vide avec de part et d’autre un bazar de garde-meuble, un espace en perpétuel emménagement, déménagement. Un écran au fond du plateau diffuse les images de caméras vidéo posées sur pied qui filment en direct certains axes du plateau et par là même, décentrent, déplacent le champ de notre regard. Alors que l’on voit les acteurs de face, ils sont filmés et projetés avec une vision de côté : il n’y a pas un point de vue ou une vision du monde unique, deux nous sont offertes qui ne disent pas la même chose, comme il y a une vie avant l’exil, une autre après et une troisième quand on revient au pays, des années plus tard, dans une « patrie » que l’on ne reconnaît plus.
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Horvath, né hongrois mais écrivant en allemand, aimait à dire : « ma seule patrie, c’est le peuple ». Réfugié à Grand-Bisbille dans un pays étranger, son héros Figaro a beau vouloir s’intégrer en devenant un petit entrepreneur, il reste un étranger. Quand, pour la première fois, il élève la voix parce que son épouse s’est laissé séduire un soir par un bel homme du pays et qu’il exige « réparation », il est vite rabroué par un autochtone : « Vous n’avez rien à exiger du tout. Immigré à la manque, vous exigez, vous exigez. Estimez-vous heureux qu’on vous ait offert l’hospitalité et que vous puissiez rater la coupe de nos cheveux, étranger de mes deux – si nous n’avions pas été là, vous auriez crevé ! » Ailleurs, une scène se passe « dans le bureau de la Ligue internationale d’aide aux émigrés ». Horvarth est toujours synchrone avec l’époque dans laquelle on le joue.
Un désir d’enfant
C’est aussi le cas de ce « désir d’enfant » que Suzanne promène tout au long de la pièce et qui guide ses choix, ses actes. C’est cette dimension-là que Christophe Rauck entend mettre en avant dans sa mise en scène, ce n’est pas très convaincant surtout quand c’est lourdement souligné (images projetées d’enfants).
En revanche, l’actrice Cécile Garcia Fogel donne au personnage de Suzanne un fond de solitude assez poignant. John Arnold offre à celui de Figaro toute son ambivalence de valet devenu libre qui finira par se retrouver, non sans malaise, intendant du domaine où il avait servi avant la Révolution. Jean-Claude Durand avec sa dégaine de grand escogriffe aux gros yeux étonnés est parfait dans le comte Almaviva, tout comme Caroline Chaniolleau dans celui de la Comtesse (et autres personnages). Nathalie Morzain, aussi douée pour le chant et le piano que pour le jeu, offre au personnage de Chérubin un supplément d’âme musical complété par le ténor haute contre Jean-François Lombard (Chérubin) ; les choix musicaux revenant au chef d’orchestre Jérôme Correas. Tout cela, de bonne prestance. Cependant, ce qui manquait encore à ce spectacle le soir où je l’ai vu, c’est un rythme et une fluidité affirmés pour servir au mieux l’écriture allègre d’Ödön von Horvath.
Théâtre du Nord, mar, merc, ven 20h, jeu et sam 19h, dim 16h, jusqu’au 20 mars,
Quimper, Théâtre de Cornouilles, les 23 et 24 mars,
Tremblay-en-France les 8 et 9 avril,
Renens-Malley (Suisse) à Kléber-Méleau, du 14 au 24 avril,
Meyrin (Suisse) les 27 et 28 avril,
Comédie de Caen les 11 et 12 mai,
Maison de la Culture d’Amiens les 17 et 18 mai,
Le Monfort à Paris, du 26 mai au 11 juin.