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Billet de blog 13 avril 2022

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Michel Bouquet : le roi se meurt, le roi est mort

À 96 ans, Michel Bouquet vient de disparaître. Cet immense acteur aura servi le théâtre et ses auteurs, avec passion et abnégation jusqu’à ses dernières années. Le cinéma l’intéressait moins, il y brilla cependant. Il ne se connaissait que deux maîtres Jouvet et et Dullin qu’il ne rencontra jamais. Il en fut un, pour bien des jeunes comédiens.

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C’était un jour de printemps, au mitan des années 80. J’étais allé le voir dans sa loge au Théâtre de l’Atelier, le théâtre qui avait été celui de Charles Dullin. Michel Bouquet avait demandé au directeur de l’époque, Pierre Franck , d’y élire domicile pour être près de Charles Dullin ; « Quand on travaille au Théâtre de l’atelier, l’âme de Dullin est très présente . C’est là qu’un génie a créé son espace, donné une figure à son âme, et a dit ce qu’il avait à dire. Et comme il a créé toute son œuvre ici, c’est toujours chez lui. J’ai un peu l’impression d’être engagé par lui ».

Bouquet se préparait dans sa loge pour jouer une fois encore, Le neveu de Rameau de Diderot. « Je pourrais jouer le Neveu pendant vingt ans, je n’arrivais pas au bout. Non parce que je ne le connais pas, mais parce que je n’arriverai pas à être suffisamment attentif à ses comportements. A certains moments , je retomberai sur moi, sur l’idée que j’ai de lui. Or c’est lui qui doit être là et non moi. Il y a des soirées où il vient, cinq à six minutes. Guère plus. Le reste c’est lui vu par moi. Mais quand c’est lui, je le sens. Il invente des gestes, des intonations que je n’aurais pas su trouver. Par exemple, hier soir, il a eu un geste du petit doigt. Je ne l’avais pas voulu, c’était là. Cela peut être une façon de naviguer dans les chaussures, de se gratter. Ce sont des accidents, des soubresauts du rôle. Il remue la paillasse. »

Michel Bouquet devait reprendre ce rôle fétiche plusieurs fois. Quelques décennies plu tard cela sera Le roi se meurt de Ionesco, rôle-titre qu’il reprendra également plusieurs fois, vieillissant avec. Ionesco était un auteur pour lequel il avait beaucoup d’affection. « A chaque fois que j’ai pu côtoyer les auteurs , j’en suis sorti enrichi, disait-il à Gabriel Dufay (1). Le fait d’avoir pris des cuites avec Ionesco, par exemple, d’avoir pu le fréquenter, a été important pour le comprendre, lui, et comprendre son œuvre ».

Au même Dufay, il évoque un gala pour la retraite de la vieille actrice Mme Segong Weber, pendant la guerre,Elle interprète Agrippine dans Britannicus. « C’était très simple ; elle arrivait en scène, ne faisait pas un geste, et puis commençait « Non Albine, je ne veux pas m’éloigner un moment // Je veux l’attendre ici. (...) ». Et il commente : »tout monotone ! Comme des fûts de colonne qui tombaient avec un débit régulier et un calme extraordinaire. Jamais un mot plus haut que l’autre, jamais une intention plus haute que l’autre ». Et d’ajouter : « C’est la leçon de comédie la plus prodigieuse que j’ai reçue ! J’ai tout compris ». De fait, ces mots s’appliquent à son jeu, sa façon d’accompagner les auteurs, avec humilité et obstination, de ne jamais céder à l’histrionisme, au culte de l’acteur, de toujours servir et jamais se servir. Belle et orgueilleuse rigueur que fut la sienne, sans relâche.

Tout avait commencé un jour en mai 1943 où, ayant, à dessein, appris une tirade et un poème, il va sonner à la porte de l’acteur Maurice Escande qu’il avait vu plusieurs sur scène accompagnant sa mère (père déporté en Poméranie ), allant ensemble voir des spectacles. Escande l’écoute, l’emmène à son cours, le prend sous sa coupe, le prépare pour l’entrée au Conservatoire où, reçu, il a pour condisciple, son contraire, Gérard Philipe. L’un et l’autre serviront de grands textes. Et tout s’enchaîne : rencontres avec Albert Camus, Jean Vilar, etc ; films avec François Truffaut, Claude Chabrol, etc. , périple avec Jean Anouilh, Samuel Beckett, Molière, etc.

On oublie trop souvent qu’il fut aussi un remarquable professeur au Conservatoire (cf Voix off de Denis Podalydès) où il avait été élève. Voici ce qu’il déclarait à ses élèves au premier jour : « J’en suis intimement persuadé, pour devenir un vrai comédien, il faut d’abord être conscient que l’on est doté d’une personnalité unique. On doit, ensuite, être persuadé que cette personnalité peut trouver sur scène une signification propre. Le comédien doit la construire dans le déroulement même de la représentation, dans la manière dont, en se servant du théâtre, il va devenir exemplaire. D’ailleurs quand un véritable acteur meurt, c’est tout un style de pensées, de sentiments et de présence qui disparaît avec lui »(2). On ne saurait mieux dire.

(1) Michel Bouquet, Servir , la vocation de l’acteur, entretiens avec Gabriel Dufay, éditions Archimbaud/Klincksiek

(2) Michel Bouquet, La leçon de comédie, entretiens avec Jean-Jacques Vincensini, éditions Archimbaud /Maisonneuve et Larose

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