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Le premier spectacle de Titoune et Bonaventure Gacon avait pour titre Trottola, toupie en italien. Le titre allait devenir le nom de leur aventure aussi peu commune que durable. Plus tard, il y eut Volchok, toupie en russe, et aujourd’hui voici Strano, étrange ou bizarre en italien. Entre temps il y eut Matamore avec le Petit théâtre baraque de Nigloo et Branlotin, et, plus récemment, Campana. Il est probable que ce nouveau spectacle durera un paquet de saisons comme les précédents et que Titoune et Bonaventure Gacon fêteront avec lui les vingt ans de piste du cirque Trottola.
Quel plaisir de retrouver ce couple improbable. Elle, la petite et frêle acrobate au visage maquillé de blanc autour de son nez rouge, jamais plus à l’aise que dans les airs sur un et même deux trapèzes. Lui, le colosse à la barbe sauvage aux épais habits dépenaillés (comme hérités de son premier spectacle en solo, l’inoubliable Par le Boudu). Un troisième larron les accompagne sur la piste, Pierre le Gouallec en alternance avec Sébastien Brun. Et, perché au dessus d’eux, le musicien Samuel Legal qui joue de l’orgue non comme un pied mais avec ses deux pieds quand ses mains sont en pause.
Ils déboulent non des coulisses mais du dehors, font halte, le temps d’un tour de piste. « Le but de notre voyages est incertain » dit Bonaventure, le seul à parler de temps à autre, avec parcimonie. Sont-ils de soldats ayant déserté ? Des rescapés ? Des égarés ? Ils ont poussé un amas de ferraille, ils sont entrés, le public est là. Alors ils font ce qu’ils aiment et savent très bien faire : des portées, des pirouettes, des ruades. Bonaventure entortille Titoune autour de lui, elle se réfugie sur ses épaules, la voici debout les bras le long du corps, et voilà que le troisième larron s’interpose entre les deux, le public applaudit cette belle verticalité des trois corps, mais les zigotos ne saluent pas. Ils ne font pas un numéro, ils racontent une histoire trouée faite de planches, de fils, d’une toute petite chaise, d’un gros lapin, d’un piano à queue sans pieds qui est comme une île où, un temps, se réfugier.
Vers la fin, les trois écriront ensemble de nouvelles pages follement tournoyantes avec cet objet complice, cher aux spectacles du cirque Trottola: une simple et belle échelle. Alors, pour finir, ils saluent le public. La salle, aussi comble que comblée, les applaudit tant et plus. La piste éteint la lumière. Dehors, la nuit nous attend.
Spectacle créé et vu à L'Espace cirque d’Antony., "Srano" s'installe au du 3 au 31 déc au Centquatre à Paris